Il est 13H00, depuis une heure déjà le monde se presse, les silhouettes s’accumulent. Des murmures d’excitation bruissent sur les murs en moquette et le sol regorge de pop-corn démoli sous les pieds de la foule sentimentale. La salle ouvre, tout le monde se pousse pour avoir le siège du milieu, the place to be. Après mille ans de publicité M&Ms les lumières s’éteignent. Un costume noir. Tintintinlin. Voici Bond, James Bond de retour dans les salles noires.
Ah le retour aux classiques, l’impression de trouver en face de soit une rare pépite culte qu’un jour les enfants regretteront de ne jamais avoir pu voir autrement que sur leurs tablettes. Skyfall semblait avoir rassemblé les cinéphiles de tous bords et chacun s’accordait pour dire qu’il sera dur de faire aussi bien pour le prochain. Et ils avaient bien raison. A moins que bourde monumentale il y ait eu au moment d’envoyer le scénario (un des écrivains se sera forcément cassé la patte et son collègue aura envoyé le brouillon), les scénaristes du film semblent avoir royalement perdu la boule (aucun spoil, don’t worry) : l’intrigue est que tous les méchants que Daniel Craig a anglaisement envoyé au paradis ne sont en fait que les disciples d’un méchant méchant triplement méchant. Dur. Parce que là, Daniel sent que ça va pas être de la tarte et que sa montre Oméga risque bien d’y passer. Mais, portant toute la misère du monde sur ses -jolies- épaules, il se décide à l’affronter. Attention, ça saigne.
Ce merveilleux scénario permet ainsi un joyeux voyage dégustation offert par tonton Mendes qui passe de Mexico en pleine fête des morts à l’Autriche en passant par Rome et Tanger. La ballade touristique est très agréables avec quelques attractions, courses poursuites en voiture, en moto, à pied ou les trois en même temps. A reconnaître cependant le plan séquence qui ouvre le film pendant cinq minutes et qui est tout à fait incroyable. C’est tristement ça le plus dommage, Bond a les moyens de faire mieux. Le travail sur l’image est inédit avec des plans très soignés et des ambiances différentes, une modernité et en même temps la continuité esthétique des précédents. C’est une série plurielle qui évolue avec le cinéma, qui recèle une histoire et qui regorge d’intrigues et de fantasmes. Mais la facilité commerciale semble avoir eu raison de la qualité cinématographique. Tandis que dans Skyfall les bases des premiers Bond étaient retrouvées avec la malice des gadgets, dans Spectre c’est le film d’action qui l’emporte. Malheureusement, pour l’agent secret kamikaze, il y a déjà Ethan Hunt avec Mission Impossible.
De plus, si le côté réactionnaire du secret agent trouve souvent un petit charme, ici les innovations sont synonymes du diable et il n’y que les méchants pour les employer à leurs vils objectifs au détriment des nombreuses possibilités de gadgets avec lesquels Bond aurait adoré s’amuser. M se trouve d’ailleurs très intelligent de penser que les nouvelles technologies c’est bien, mais l’homme sur le terrain c’est mieux, parce que ça vous sauve une démocratie. Comme c’est chou. Chou et puis vu, revu.
Sauvons tout de même Léa Seydoux qui s’essaye à un nouveau genre avec bravoure et qui relève à merveille le défi : simple et sensuelle, elle ne joue pas la potiche sous le charme de l’English. Pour Christoph Waltz, son rôle est loin d’être à sa hauteur et il aurait mérité beaucoup plus de temps à l’écran. La production semble avoir préféré donner ce temps aux placements de produits qui, s’ils ont toujours été là, prennent ici une place incommensurable.
Spectre est donc une sorte de farce géante atomisant tout le potentiel de cette série mythique. Une image et des courses poursuites ne suffisent pas à faire de James Bond l’homme de la situation et si Daniel Craig ne vieillit pas, les scénaristes eux, semblent hors jeu.