MUSIQUE

Rencontre avec Hippocampe Fou – « Les nuages ça m’a toujours fait triper, c’est le monde de Zeus et des Bisounours »

Dans un café bien bobo à côté de Beaubourg, on a pris un verre avec Hippocampe Fou, ce rappeur maître des associations loufoques à l’univers si particulier. Il nous présentait son album sorti le 25 septembre, Céleste. Entre gangster et poète, égotrip et autodérision,  les mots dansent dans la bouche d’un Hippo éclectique qui conquiert petit à petit la scène française.

Raconte-nous ta rencontre avec la musique…
J’ai baigné dans la musique déjà tout petit, avec un père musicien. Donc j’ai rencontré la musique classique tout jeune. Puis vers 2002, j’ai eu une sorte de déclic et j’ai commencé à creuser les styles qui m’intéressaient, notamment le rap et la chanson française. J’écoutais MC Solaar, IAM, Jacques Brel. J’écoutais en boucle le best of de Bobby la Pointe. J’écoutais aussi Busta Rhymes, Cypress Hill et Eminem. Puis je me suis mis à écrire et à faire des rythmes en beatbox. Au bout d’un moment, en 2009 avec mon pote Lolo on a lancé la web série Video Rap.

Tu es donc beatmaker à l’origine, mais au niveau de tes instrus ça varie énormément : du beatbox, des musiques électroniques, folkloriques, du jazz, du trip-hop, on entend même une flûte traversière dans ton dernier album. C’est important pour toi de changer de matériau de base  ?
Carrément. C’est une volonté de faire le caméléon au niveau du flow, de m’adapter et de rentrer dans l’univers de l’instru. Il faut trouver des flows qui à la fois collent au beat, et aussi chercher des flows qui ne sont pas du moment : après il y a des schémas de beat, mais plus t’écris, plus t’explores. C’est aussi super intéressant de changer de BPM. Là je bosse avec un batteur sur un nouveau projet : c’est un défi parce qu’il me dit « Essaie de rapper sur un rythme à 5 temps ». C’est génial de tester tous les flows possibles sur tous les beats possibles, c’est comme être toujours à la recherche du bon mot et du bon rythme.

Ces variations de styles, on les ressent aussi dans tes paroles. Dans certains morceaux, tu joues à fond le jeu de l’égotrip, puis dans d’autres c’est l’autodérision qui l’emporte. Comment tu te situes par rapport à ces deux archétypes extrêmes ?
C’est vrai que j’oscille entre le hippo maléfique et le hippo looser : dans un morceau je vais te dire que j’ai une bite d’éléphant et dans un autre une bite de microbe ! Même quand je vais me livrer, au moment où je prononce une phrase et qu’elle me procure un peu de frissons parce que ça m’excite de la dire ou parce que ca peut résonner dans l’esprit des auditeurs, je préfère glisser sur de l’humour directement, quitte à casser le truc. L’idée est de passer d’une émotion à l’autre au sein même des morceaux, même si certains sont clairement plus humoristiques, burlesques, dans la surenchère. Je jongle entre les deux moi.

Quoi qu’il en soit, l’humour et la légèreté sont toujours présents dans ton monde. Tu te décris d’ailleurs comme un «  piètre pitre dérisoire » dans un de tes sons. Est-ce que c’est le personnage que tu cherches à être ?
Je suis un peu le gai luron, il faut que tout le monde soit heureux autour de moi, que je les fasse rire. J’ai un coté gauche, presque Mr Bean. Aux Francofolies, j’ai fait la moitié du show la braguette ouverte et je m’en suis rendu compte sur scène, mais j’étais pas gêné parce que ca va avec le personnage, en fait ca enlève beaucoup de pression : je n’ai pas peur du ridicule. Ben Mazué disait que si le ridicule tuait, il serait mort depuis longtemps ; pour moi c’est un peu ça. Ce personnage de clown est là depuis toujours, et dans ma musique il faut que ça se ressente, même dans les morceaux les plus sombres. J’ai envie de prendre les choses avec ironie, avec du second degré. Ca me permet de ne pas être complètement frontal, de ne pas brusquer.

Le 25 septembre est sorti ton deuxième album, Céleste. Deux ans après Aquatrip, tu nous emmènes dans un nouvel univers ?
Pendant plusieurs années, j’ai défendu le rap aquatique rien qu’avec ce nom, Hippocampe Fou, donc après avoir fait une net tape aquatique en 2011, puis mon premier album Aquatrip en 2013 sur le Label 30 Février, je me suis dit qu’il fallait que je lâche cette idée d’« aqua-tout ». Ca marchait bien mais il fallait changer avant que ça ne lasse les gens. Après j’ai voulu rester logique dans cette idée de m’approprier un univers, j’ai envie de poésie, d’humour et de story-telling ; j’essaie toujours de raconter des histoires dans mes morceaux. Donc Céleste c’était logique, parce que c’est l’eau de mer qui s’évapore dans les nuages, ça me crée un nouveau décor, inconnu. Puis les nuages ça m’a toujours fait triper, c’est le monde de Zeus et des Bisounours. Les nuages, plus que l’univers, la voie lactée ou les astres lointains, restent dans la sphère accessible.

A l’écoute de certains morceaux, comme Arbuste Généalogique, on a l’impression que cet album est peut être un peu plus intime, et qu’on accède à une part de ta personnalité qu’on ne connaissait pas jusque là. C’est volontaire ?
Le premier album j’avais juste envie que les gens délirent. Celui là l’idée c’est de partager des émotions tout en délirant, et en gardant cette image de clown que je peux avoir dans certains morceaux. C’est vrai que ce morceau, Arbuste Généalogique, est très autobiographique. J’avais envie de parler de moi au milieu de tout ça, des proches, de la famille, mais c’est des thèmes qui touchent tout le monde. La confrontation avec ses parents, avec le père notamment : quand on est jeune on idéalise vachement ses parents, on se fait une image qui n’est pas toujours bien vraie. On perçoit ça différemment quand on grandit…

Est-ce que tu vois ta musique comme une catharsis quelque part ?
Souvent j’ai des trucs très violents qui me viennent, j’ai vu beaucoup de films d’horreur et j’adore ça. Démembrer des personnes âgées et violer un enfant, je trouve ça génial de pouvoir imaginer des trucs horribles et obscurs ! Mon imaginaire, je ne le contrôle pas et je pense que l’écriture c’est une manière d’emmener les gens dans mon imaginaire, donc forcément ça sort de ma tête, mais c’est pas vraiment moi. C’est tout un univers qui me plait, et avec mon écriture je vais me glisser dans les personnages. Je suis pas partisan de l’idée selon laquelle il ne faut parler que des choses qu’on a expérimentées, à partir du moment où on imagine des choses on a le droit d’en parler. Je préfère écrire des choses pour emmener, comme on m’emmène dans les livres, ou au cinéma… L’idée c’est de passer de l’imaginaire au réel facilement.

On sait que tu as fait des études de cinéma et dans tes textes, tu cites souvent de grands réalisateurs, ça semble être ta passion. Es-tu tenté par la réalisation ?
Oui c’est une véritable passion, et ça me plairait énormément mais ça me semble compliqué de mener à bien un projet filmographique. Réaliser un long métrage, ça demande beaucoup de temps, ça nécessite d’être soutenu financièrement. Je ne me sens pas vraiment prêt pour ça. Puis il y a un décalage entre l’œuvre figée au cinéma et la musique. Et j’aime aussi beaucoup la scène.

Tu peux nous dire quels sont les livres et les films qui t’ont le plus marqué ?
En livres, je dirai La Peste d’Albert Camus, et L’Aveuglement de Jose Saramago, où j’ai adoré le fait que les personnages n’aient pas de nom (alors que dans Zola j’avais du mal car je n’arrivais pas à reconnaître tous les personnages ). Bref, ces deux là c’était une grosse claque.

En cinéma, je te dirai les Lars Von Trier comme Duckville, Le Magicien d’Oz qui m’inspire toujours autant aujourd’hui, le Voyage de Chihiro, ou 2001 L’Odyssée de l’Espace, en plus froid et scientifique. Plus récemment j’ai trouvé qu’Interstellar était un chef d’œuvre !

Un de tes abonnés sur YouTube parle d’expressionisme dans tes morceaux et dans tes clips : qu’en penses-tu ?
Peut être par rapport à des clips comme Le Marchand de Sable ou Couche Tard, avec le cadre du cabinet du Dr Caligari, avec un fou, un somnambule, un docteur… Ca peut rappeler l’expressionisme allemand des années 1920. Moi j’adore Tim Burton et ce côté enfantin, mais je défendrai plus le surréalisme que l’expressionnisme, l’idée de choses qui n’ont rien à voir et de mélanger pour créer quelque chose d’inédit. Je suis complètement fan des Chants de mal d’aurore de Lautréamont, ce genre de littérature fantastique où le mec va arracher un cœur avec ses ongles. Après pour moi, mélanger les styles c’est la clé pour être novateur. Flirter avec l’intemporalité, trouver des thèmes. Je choisis mes références, et j’essaie toujours de trouver des références à des personnages de l’inconscient collectif. Puis c’est super important pour moi de mélanger les styles : pourquoi pas un jour faire des morceaux plus rock, plus world ! C’est des choses que j’ai envie de faire pour ne pas tourner en rond. Il faut réinventer les choses, comme le hip-hop l’a fait en allant chercher des samples de soul ; Timbaland par exemple est allé chercher pas mal de truc en dehors de son style de prédilection.

Et pour finir, ta dernière découverte musicale ?
Un rappeur : Vince Stapples. C’est pas révolutionnaire ce qu’il fait mais j’aime bien son timbre de voix, ses instrus, son flow… j’aime bien ! Sinon River d’Ibi, j’ai vraiment kiffé.

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