Un petit coin suisse, un festival d’une ampleur incroyable, un espace presse où se mêlent les voix de journalistes et d’artistes venus de multiples ailleurs, et nous voilà à la rencontre d’une belle artiste. En face à face, et dans la plus belle des intimités, la jeune auteure-compositrice-interprète revient sur les grands moments de sa carrière. Lumière sur cette nouvelle artiste émergente pleine de sincérité, Jeanne Added, qui vient de sortir son premier album, Be Sensational.
Depuis tes débuts, avec une formation au conservatoire, une excursion dans les musiques jazz ou folk, puis un peu plus tard avec du rock et maintenant de l’électro, quelle cohérence, quel parcours doit-on y voir ?
Il n’y a rien, c’est n’importe quoi (rires). Je n’ai pas fait de folk, je ne pense pas. En fait, j’ai été étudiante,j’ai appris les instruments d’abord. Puis, j’ai été interprète de jazz pendant longtemps. Dès que je me suis mise à écrire ma musique, ça a été du rock. Maintenant, c’est plus éléctro parce qu’on a fait le disque avec Dan Levy de The Do, sur ordinateur. La cohérence, elle est là, je suis passée du statut d’interprète à celui d’auteur compositeur. Quand j’ai pu chanter la musique des autres, c’était du jazz mais moi je me suis posé la question de quelle musique j’avais envie de chanter, ça n’était plus du jazz, c’était autre chose.
Tu as commencé en reprenant des chansons, des poèmes de grands auteurs, maintenant tu as évidemment tes propres compositions, comment s’est faite la transition, peut-on y retrouver quelques points communs ?
Cela s’est fait sur cinq ans. J’avais commencé à écrire la musique de poème sûrement parce que je n’avais pas encore assez confiance en moi pour écrire mes propres textes, donc j’ai d’abord préféré mettre en musique les textes des autres. Et puis, au fur et à mesure, j’ai gagné en confiance. D’abord avec le groupe de rock parce qu’il y avait plus de bruit avec les instruments, ça faisait du bruit donc on entendait moins les paroles, du coup je me suis autorisée à écrire. Et puis, au fur et à mesure, la confiance est venue et j’ai écrit mon album.
Mais comment ça se fait que du jazz on soit passé au rock alors que même s’il y a des similitudes, ce n’est pas la même chose, ça n’a presque rien à voir ?
Cela dépend car moi en jazz, je chantais de la musique d’auteurs contemporains. Ce n’est pas l’idée qu’on se faisait du jazz dans un club enfumé avec des saxophones suaves et des chanteuses en robes qui fument des cigarettes etc. Ce n’est pas cela qu’on faisait. Et il y a une partie du jazz contemporain qui est très rock en fait. En l’occurrence, je ne faisais pas exactement ça. Mais il y a eu des groupes avec lesquels on a fait des trucs un peu plus énervés ouais. C’est pas incohérent en fait, c’est juste que ma musique, ce n’était plus ça. Donc quand j’ai commencé à écrire ma musique, je suis tombée sur quelque chose de plus puissant, de plus ancré dans le sol, et j’avais envie de musique amplifiée, de public debout, de public de mon âge, j’avais envie de jouer avec des gens de ma génération.
Tu as participé au spectacle mis en scène par Philippe Découflé sur David Bowie à la Philarmonie de Paris. Comment s’est faite ta participation à cet événement ?
Un peu par hasard, je crois. Ils avaient déjà un peu des têtes d’affiches, à savoir Sophie Hunger et Jehnny Beth des Savages. Je connaissais le chargé de production de Philippe Découflé, donc c’est du réseau et de la cuisine interne. Lui me connaissait du jazz, il connaissait mon parcours et savait comment j’évoluais, etc. Mais il cherchait quelqu’un de plus connu à la base. J’ai quand même eu le job et c’était super.
Qu’est-ce-que cette expérience t’a apportée ?
Une présence scénique supplémentaire à savoir évoluer sur scène avec des danseurs, en dansant aussi un peu. Tout cela m’a fait beaucoup de bien. Les expériences comme celles-là servent à ça. Il y avait beaucoup de monde, beaucoup de public, une avancée de scène dans le public, que j’aurais été plus frilleuse à faire avec ma propre musique. Mais là, comme ça n’était pas ma musique, pas mon spectacle, c’était plus facile d’y aller et d’apprendre.
Tu as collaboré avec Dan Levy, qui a également travaillé avec The Dø, on peut d’ailleurs noter une certaine similitude, parfois, avec leur second album, qu’a-t-il apporté à ta musique ?
Énormément ! Il a apporté son exigence, il m’a poussé à écrire, à écrire mieux, à écrire plus. Il a apporté sa vision. Il a une vision.Il m’a vu être plus que ce que j’étais déjà à l’époque. Et il a mis tout son talent en œuvre pour faire arriver ce truc là, c’est énorme.
Il y a-t-il des artistes, des groupes, que tu considères comme t’ayant réellement influencée ?
Les influences, c’est bizarre, parce que je pense qu’il y a beaucoup de choses qui se font de manière indirecte. Des choses durant l’enfance, l’adolescence, des choses qui s’impriment, qui rentrent dans les différentes couches de profondeur de la chair, des os, d’une personne.
Il y a des gens comme ça qui m’ont aidé. Après moi dans les trucs que j’ai écouté ces dernières années, il y a les Liars, les Xx, tout un tas de trucs très différents les uns des autres.
Avec Rachid Taha, vous avec fait ensemble une reprise d’un de ses titres, comment s’est mise en place cette collaboration ?
C’est un titre d’Elvis qu’on a repris. Une fois encore c’est de la cuisine interne, ce sont nos éditeurs communs qui nous ont mis en contact. C’est le genre de trucs qui peut très mal tourner, parce que ce ne sont pas des artistes qui se rencontrent entre eux au départ mais qui finalement, je trouve, a donné une chanson très réussie.
Tu aimais déjà ce qu’il faisait ?
Oui, je le connaissais et le personnage me touchait particulièrement. Après lui, je pense qu’il ne me connaissait pas DU TOUT (rires). On s’est découvert en travaillant ensemble et c’est quelqu’un que j’aime beaucoup.
On n’écoute pas le français et l’anglais de la même manière… Tu as chanté en français, aujourd’hui, tu évolues musicalement vers l’anglais. Pourquoi ce changement ?
Je n’ai jamais écrit en français, déjà. J’ai tout écrit en anglais parce que ça m’est venu comme ça. Pour moi, il n’y a pas de passage car en tant qu’auteure, j’ai seulement écrit en anglais. Et j’aime le fait que même les Anglais n’écoutent pas l’anglais comme nous, nous écoutons le français en tant que francophones. Il y a une distance avec le texte, avec le sens, et c’est ce qui moi me donne pas mal de liberté. Si on a envie d’écouter le sens, on l’écoute et si on a pas envie, on ne l’écoute pas. Alors qu’en français, il est martelé et dès que c’est complètement con, ça s’entend tout de suite et c’est insupportable (rires). Ça ne veut pas dire que je n’écris pas des trucs cons en anglais, c’est possible, mais voilà.
Considères-tu ta musique comme engagée ?
Non. Je me sentirais mal à l’aise de dicter quoi que ce soit. Même si Be Sensational, c’est un peu une injonction mais je ne peux parler que pour moi. Après, est-ce-que les gens le prennent à comptant et se l’approprient ? Pourquoi pas. Mais en tout cas moi je ne peux parler qu’à la première personne, de comment je vis dans le monde, comment je le perçois. Je ne pourrais pas énoncer, m’ériger comme étant la réponse à quelque chose. Ça ne veut pas dire que je ne suis pas engagée dans des actes, je préfère agir que parler. Et je ne pense pas être touchée par des choses engagées. Après pour moi, Jeanne, je suis très mal à l’aise à écrire quelque chose d’engagé.