ART

Du langage dans l’art – Silvia Bachli et Katie Paterson au FRAC Franche-comté

Que nous apportent les visites de musées ? D’abord des lieux de conservation du patrimoine et de la culture des civilisations, ils ne sont pas uniquement cela. Pour beaucoup, nous visitons ces lieux avec le désir de découvrir, d’être surpris, émerveillés parfois. On va au musée comme on va au cinéma, avec la certitude de pouvoir vivre ce que la vie ne nous donne que par hasard, les émotions subtiles de la contemplation d’une œuvre. Les musées d’art sont des endroits uniques, qui offrent au visiteur un ensemble de créations, toutes chargées d’une force qui nous échappe souvent. Il suffit de se laisser le droit d’être conquis par cette force si l’on veut comprendre l’art d’aujourd’hui.

C’est un reproche souvent fait à l’art contemporain d’être inaccessible, mais l’art contemporain est un langage qui nécessite un apprentissage personnel. Sans vraiment comprendre pourquoi, la plupart des gens ressentira les émotions que peut transmettre la Victoire de Samothrace. Pour apprécier une peinture de Miro en revanche, cela demande plus d’investissement de la part du spectateur. Le cas le plus flagrant grâce auquel on peut comprendre ce phénomène de langage artistique est la musique. A l’écoute des Rêveries de Debussy, on peut ressentir instantanément et de façon innée les émotions que provoque la musique. Allez la faire écouter à un non-occidental, peut être ne ressentira-t-il rien. La façon dont est construit ce don de comprendre instinctivement certaine musique est une autre question. Le Frac de Franche-comté expose en ce moment Silva Bahcli et Katie Paterson, deux artistes contemporaines. Cette exposition parle de ce langage artistique.

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En entrant dans le couloir qui mène à la première salle, les accords de la Sonate au Clair de Lune de Beethoven nous parviennent. Dans ce grand couloir blanc, la musique que l’on ressent nous immerge dans une atmosphère qui nous prépare à recevoir ce que l’exposition a à nous offrir. La première salle dédiée à Silvia Bachli regroupe des dessins accrochés aux murs, et des photographies sur une installation en bois. Les dessins, fait à la peinture, frappent par leur apparente simplicité. Une simplicité très construite. En y prêtant attention, chaque couleur et chaque trait de la composition semble avoir trouvé leur place. Silvia Bachli prend la décision de ne pas remplir son format quand les quelques coups de pinceaux qu’elle applique sur la toile provoque la force de son œuvre.
Les photographies quant à elles, si elles sont individuellement sans grand intérêt, c’est l’ensemble de l’installation qui fait sens. C’est un récit de voyage par l’image comme l’a souvent fait Sophie Calle, mais qui installés comme elles le sont, perdent leur statut de photographie. L’installation est faite de longues et fines planches de bois peintes en rouge, sur lesquelles sont imprimées ces photographies, au format carte postale. Cette installation dans l’espace qui illustre son voyage semble devenir une œuvre plus autobiographique que plastique, et au contraire des dessins, muselle l’imagination du regardeur dans des images documentaires, installées comme des photographies didactiques dans une exposition archéologique.

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L’exposition de Katie Paterson use d’objets du quotidien ou de ready-made, pour créer. Au milieu de la salle se trouve un piano automatique d’où provient la musique. Les œuvres exposées sont toutes de matières très diverses, des ampoules aux photographies, des confettis à une météorite. Néanmoins elles gardent toutes une nature qui parait similaire. Chez Katie Paterson, on voit les objets, on reconnaît les symboles, mais on ne lit pas le sens. C’est cette dimension qui rend si riche son travail. Son langage artistique est à la fois implicite, et pourtant très accessible. Les composants qu’elle utilise nous sont connus, ils sont reconnaissables et constituent des repères pour rencontrer ses œuvres. Chaque visiteur fait vivre son travail par une interprétation différente, et cette source de renouvellement est intarissable. A l’instar de la science, où une théorie est juste, sous réserve qu’une autre ne prouve le contraire. La science, qui semble faire partie intégrante de sa réflexion. En sont témoins ces lettres, en apparence très sérieuses qu’elle envoie au professeur Ellis au centre d’astronomie et d’astrophysique de Pasadena pour le tenir au courant de la mort d’étoiles. Sans qu’on sache si elles ont une valeur scientifique, elles sont en tout cas, vecteur d’une forte puissance poétique. Et que fait ce moulage de météorite au milieu de la pièce ? Et cette photographie, purement onirique, qui semble se détacher du reste de l’exposition ? C’est un ensemble de questions sans fin que soulèvent les trois salles de Katie Paterson. C’est cette richesse de questionnement qui en fait sans doute une expérience si enrichissante.

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Chaque musée dans lequel on décide d’entrer réclame une implication de la part de ses visiteurs. Sans quoi, on reste hermétique à ce que peut nous offrir l’art, plus particulièrement l’art contemporain. On se retrouve alors à lire des pamphlets comme le très pertinent Écrin pour de la merde qu’écrivit Jean-Claude Philipot, directeur de campagne du candidat FN aux municipales de Reims en 2014, qui à défaut d’avoir du fond, rivalisait d’ingéniosité dans les images qu’il employait. La compréhension du langage de l’art se construit, tout comme on apprend à parler une autre langue, on apprend à communiquer avec l’art. Et si cet apprentissage est difficile à faire seul, de nombreux livres existent, et l’ensemble des Frac de France ont pour mission de faire comprendre et connaître l’art d’aujourd’hui au plus grand nombre. Ils sont au service de la culture et du patrimoine qui se crée aujourd’hui pour demain. Un article de ce mois-ci traite de ces questions de monstration de l’art contemporain, « Aller se faire voir ailleurs ».

Alors qu’est-ce qui fascine tant dans une œuvre d’art, et dans les lieux de leur monstration ? Une question complexe et propre à chacun qu’il est bon de se poser parfois dans les expositions qui nous transportent, ou au contraire, celles qui nous ennuient profondément.

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