STYLE

Des vachettes et des hommes : le concours landais de la Madeleine

On est allés à Mont-de-Marsan voir des hommes éviter des vaches dans une arène. Ils sautaient, ils faisaient des tours sur eux-mêmes et oubliaient même parfois d’éviter les vaches en question, tout ça rythmé par une fanfare cuivrée reprenant des hymnes disco. On revient sur cette tradition peu connue dès qu’on s’éloigne de la belle région des Landes : les courses de vaches. On l’appellera « corrida light ».

Plus de 650.000 personnes

Les fêtes de la Madeleine se tiennent chaque année au mois de juillet à Mont-de-Marsan dans les Landes. Le mercredi, le maire – la mairesse en l’occurrence – remet les clés de la ville aux jeunes devenus « hestayres » pour l’occasion. La ville devient leur, l’espace de cinq jours intensifs où tradition et fête se mêlent dans une manifestation unique. On pense alors à une ambiance chaleureuse, à des tenues blanches ornées de foulards bleus et non rouges, à des bouteilles de pastis orgeat, à une foule en délire aux sons des fanfares locales. On pense aussi à certains excès souvent décriés par les pouvoirs publics : soûlardise intensive, agressions et vols en tous genres… Sur le papier, les ferias restent le bon plan pour qui veut découvrir un certain folklore tout en restant avec ses potes pour faire la fête. C’est ainsi qu’il est de moins en moins rare de voir des outsiders débouler dans ces ferias dans l’espoir d’y festoyer jusqu’à pas d’heure dans une ville métamorphosée pour l’occasion.

Il y avait 650 000 personnes en 2014 et sans doute plus cette année pour une aire urbaine qui en compte à la base 69 000 tout rond. Loin de cette foule enjouée et sans doute sympathique, nous sommes arrivés la veille des événements dans une ville déserte. Tout avait été préparé et c’était littéralement le calme avant la tempête : du contreplaqué protégeait chaque enseigne de la ville et même quelques arbres du vandalisme de certains hestayres. Il s’agissait clairement de limiter la casse tout en sachant pertinemment qu’il allait y en avoir. Le décor était en tout cas déstabilisant, on aurait cru une ville touchée par la peste où chacun serait réfugié chez soi en priant ses dieux respectifs.

Mont-de-Marsan, la ville où confluent le Midou et la Douze pour former la Midouze. Malin.

Mont-de-Marsan, la ville où confluent le Midou et la Douze pour former la Midouze. Malin. © Marion Bonneau

 

L'affiche de l'événement.

L’affiche de l’événement.

Le partage avant tout

Mais loin de cette vision chaotique nous sommes allés manger des cœurs de canard dans une peña – les bars associatifs éphémères qui ouvrent pour l’occasion. La peña choisie pour cette dégustation était celle de l’association des Pitchouns du Moun qui a un message simple : “Peut-on faire la fête tout en aidant les enfants malades ?” et une réponse encore plus simple : “Oui”. Leurs recettes vont chaque année aux handicapés de la région – le Moun est le nom donné aux alentours de Mont-de-Marsan – et eux-mêmes sont bénévoles. On débarque donc en voulant manger un bout et ils nous refusent d’abord l’accès car la soirée est réservée aux bénévoles puis un des membres nous dit de rester et nous offre une première tournée avant qu’on ne lui commande à manger et à boire. L’ambiance du sud est ici, la chaleur de l’accueil et le dialogue facile en sont des signes qui ne trompent pas.

Le ventre plein et le sourire aux lèvres, on se dirige vers les arènes de Plumaçon pour assister à une course landaise. La corrida est connue notamment pour les polémiques qu’elle soulève mais on entend rarement parler de ces courses qui restent elles aussi une tradition dont le spectacle vaut le détour. Une première floppée de personnes arrivent en échasses et costumes traditionnels. Elles se mettent en ligne à chaque extrémité de l’arène et vient l’annonce de ceux qui vont participer à la course ce soir. Présentés par équipes, ils viennent saluer le public avec leurs habits colorés et imposants. Pendant ce temps, une fanfare appelée « La Cigale » et venant du village de Morcenx s’occupe de maintenir l’ambiance. Le soleil s’est couché tranquillement et on peut voir flotter les drapeaux français et espagnols qui trônent par alternance en haut de l’arène.

Une tradition ancrée

Le show commence avec des écarteurs et on a vraiment l’impression d’avoir affaire à un rituel millénaire. Une vachette est emmenée dans l’arène, les cornes encordées. Des hommes, les cordistes, tiennent ces cordes de chaque côté, à proximité, afin d’orienter la vache dans sa course. L’écarteur – ou le sauteur – se charge d’attirer l’attention de la vachette. Ça peut durer longtemps car parfois elle a envie de bouffer autre chose que le monsieur du centre mais quand elle est enfin partie pour le voir, là il se tient debout bien droit, il attend le dernier moment et il fait un geste magnifique et d’une classe certaine. Si la vachette arrive sur sa gauche, il effectue avec grâce un demi-tour dans le sens des aiguilles d’une montre. Elle passe et il l’a esquivée, il s’est écarté juste pile pour ne pas se faire empaler. Tout cela est rythmé par la fanfare et une fois l’écart effectué il pose fièrement les mains sur les hanches puis salue la foule en effectuant un tour de l’arène. Il faut imaginer que leurs tenues sont riches en fils d’or ou d’argent et ces dernières scintillent tout le long du spectacle, émerveillant tout un chacun et embellissant le suspens.

Un écarteur s’apprête à feinter la vachette. © Marion Bonneau

Parfois toutefois, cet idéal de l’écarteur vient se fracasser contre une vachette. De face c’est spectaculaire, une vache traîne à moitié un écarteur sur un ou deux mètres, on a peur pour lui. Le temps s’arrête littéralement et l’annonceur en profite pour nous parler d’une initiation à la course landaise qui se déroule dans la semaine : était-ce vraiment le bon moment pour susciter des vocations ? L’homme a perdu une bataille mais il n’a toutefois pas perdu la guerre. Celui qui était à terre revient pour un écart et il assure comme un chef. On se dit quand même pendant un moment que c’est stupide. Au fur et à mesure on se rend compte que même quand il n’y a rien de spectaculaire, les joueurs à peine touchés par la vachette se tiennent de plus en plus le bas du dos quand ils font le tour de l’arène. Quand ils passent derrière les palissades aussi, là ils ne se tiennent plus droit et extériorisent la souffrance lisible sur leur visage. Il ressort donc que c’est finalement l’honneur des participants qui est en jeu. Il s’agit de combattre sa douleur, de ne pas la laisser transparaître afin de livrer le plus beau des spectacles.

Un spectacle hors du commun

Pendant que la fanfare joue YMCA, Dancing Queen ou encore des reprises d’Adele, les écarteurs laissent place aux sauteurs. Pour tout avouer, on était venus pour ça. Les sauteurs doivent eux aussi éviter la vachette mais plutôt que de tournoyer au sol ils préfèrent voltiger dans les airs. Saut de l’ange, saut périlleux ou vrille pour les premiers ; pour les seconds, les pieds sont joints dans un béret rouge et les genoux attachés d’un lacet de la même couleur ils effectuent saut basique, vrille ou saut périlleux. C’est là que ça devient sans doute un peu moins technique et plus impressionnant pour l’observateur lambda. Il suffit d’imaginer le taureau et le sauteur, chacun à une extrémité de l’arène. Le premier court vers l’autre, le second en fait de même et au dernier moment, on le voit s’élever dans les airs. Bizarrement le plus impressionnant serait sans doute le saut périlleux où il bondit littéralement pour atterrir en une roulade avant, mettant un peu de terre battue sur ses habits d’un blanc immaculé.

C’était noble et beau. Le spectacle est sans doute un peu long, spécialement quand on pense aux écarts nombreux et dont la qualité baisse au fur et à mesure de la partie avec l’épuisement et les blessures des écarteurs. Toutefois, tout comme une sortie en ville, il faut voir la course landaise comme une étape de la soirée qui connaît un avant et un après. Les cœurs de canards dans le bar où jouait une fanfare, les discussions aléatoires, la ville déserte : tout ça constituait l’esprit du sud qui séduit quiconque pose pied à terre en ayant en tête de partager de bons moments dans une convivialité que l’on ne trouve nulle part ailleurs.

You may also like

More in STYLE