« Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera ». Il est de coutume de citer la prophétique formule de Napoléon pour évoquer l’ascension économique fulgurante que l’Empire du milieu a connu depuis les années 1980 et tout particulièrement cette dernière décennie. Pourtant l’actualité récente nous a montré que la Chine aussi avait ses lundis noirs : Le krach boursier et les explosions de Tianjin qui ont secoué le pays cet été sont révélateurs d’un certain état de faiblesse. Mauvaise passe ou anomalies plus structurelles ?
Le pays de tous les superlatifs
Si l’on en croit le Fonds Monétaire International, la Chine se serait hissée au rang de première puissance économique mondiale en 2014, surpassant les Etats-Unis. Le titre était prévisible, étant donné que dans nombre de domaines, la Chine a connu un succès retentissant ces dernières années : industriel, financier, diplomatique, médical, sportif… Après la démonstration de puissance aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008, l’Exposition universelle de Shangai en 2010, et son rôle d’acteur majeur sur la scène internationale lors des sommets du G20 ou aux Nations Unies sur le dossier syrien, il ne restait plus qu’à lui passer la médaille d’or autour du cou.
Forte de son surnom d’ « usine du monde », la Chine a connu une longue période d’hypercroissance notamment grâce au textile, à l’électronique, aux jouets entre autres, tant de secteurs pour lesquels travaillait une main d’œuvre abondante et bon marché et qui ont attiré en masse les délocalisations de nos pays développés.
Pourtant, le secteur manufacturier, pilier de la croissance chinoise, s’est contracté en août et a agité les bourses mondiales. Très vite, la presse a commencé à évoquer un modèle « en crise », qui s’essouffle ou même « qui touche à sa fin ». Exagération médiatique ou réalité ?
Un tigre de papier ?
La Chine est une puissance certes, mais incomplète. Dans sa course à l’hégémonie économique, elle doit composer avec des problèmes plus politiques et sociaux : une démographie vieillissante due à la politique de l’enfant unique, les nombreux scandales de corruption qui rongent le Parti, les inégalités sociales qui se creusent, la pollution et l’augmentation d’éléments dissidents s’élevant contre le régime chinois.
Prenons ce dernier volet : le drame de Tianjin n’est pas sans nous rappeler les destructions environnementales opérées en Chine depuis les années 1990. Ce manque de soutenabilité à long terme pose la question de la pérennité d’une puissance qui se repose sur l’autodestruction de ses ressources. Sans compter les problèmes de santé des populations riveraines, et donc, en termes économiques, la perte d’efficacité du capital humain. Le développement durable est un défi chinois, encore plus à l’approche de la COP 21 à Paris.
Pour ce qui est de son mode de fonctionnement économique, la Chine est entrée dans une période transitoire : depuis la crise de 2008, elle ne peut plus être tributaire des marchés extérieurs et des exportations comme elle l’était avant. D’autant plus que la hausse du salaire du travailleur chinois a augmenté les coûts de production : le bas de gamme bon marché ne peut plus être son seul credo. La Chine doit innover et monter en gamme pour maintenir sa compétitivité et stopper sa politique de dévaluation excessive du yuan, qui risquerait d’entraîner une guerre des monnaies.
D’autant plus que la stabilité politique du pays serait fortement corrélée à la stabilité économique : le pacte du Parti-Etat avec le peuple chinois repose sur une acceptation tacite de la dictature en échange de la croissance et de la réussite économique. Or, depuis le mandat de Xi-Jinping, la répression politique et le durcissement du régime se sont intensifiés, et les partisans des valeurs universelles dites “occidentales” (démocratie, société civile, presse libre, défense des droits de l’Homme et libertés fondamentales) se sont multipliés, comme en attestent le mouvement des parapluies à Hong-Kong ou des actes de militantisme divers (cf. les féministes arrêtées pour avoir placardé des affiches contre le harcèlement sexuel dans les transports publics ou plus récemment les avocats et défenseurs des droits de l’homme interpellés et accusés de manipulation par « les forces ennemies occidentales »).
Une faiblesse à nuancer
Pour reprendre le titre d’un article paru sur Slate le 28 août, « le krach boursier chinois est l’arbre souffreteux qui cache la forêt malade ». Les médias se penchent pour la plupart sur un éventuel déclin chinois – l’arbre souffreteux – mais la panique qui a saisi les places boursières européennes au lendemain du krach est davantage révélatrice d’une fragilité européenne – la forêt malade. Les économies du Vieux Continent se remettent péniblement de la crise de 2008 et n’ont toujours pas de bases solides de croissance. Un ralentissement chinois freinerait inéluctablement la timide reprise européenne (notamment les secteurs du luxe et de l’automobile).
La Chine va bien, même si la phase de croissance à deux chiffres est révolue. Les experts s’accordent pour dire que le risque de hard landing – un décrochage brutal de l’économie chinoise – est faible. Le ralentissement de la croissance était prévisible car les plans de la Chine étaient connus : suite à la rétraction de la demande mondiale en 2008, le pays est entré dans une phase de mutation. D’un modèle basé sur les exportations, l’Etat veut passer à un modèle reposant sur la consommation domestique. Cela passe par un ajustement de l’économie, d’où une transition plus ou moins hasardeuse. Hasardeuse oui, mais selon les chiffres officiels, la croissance annuelle tournerait aux alentours de 7 %, ce qui reste à la limite de l’acceptable, surtout plus si la Chine fait le choix des bonnes réformes.
Une autre thèse voudrait que cette façon de voir la faiblesse chinoise à la moindre turbulence soit la trace d’une angoisse occidentale, un sentiment de rejet, d’effroi et de fascination vis-à-vis d’un Empire triomphant qui n’est pas « de l’Ouest ». Une résurgence de la peur du « péril jaune », la peur d’une puissance qui s’anoblit en contraste avec une Europe vieillissante, stagnante et criblée de dettes. Ce sentiment qui date de l’aube du XXème siècle s’est ravivé depuis la vague d’acquisitions chinoises en Europe, le rachat d’emprunts d’Etat, les affaires d’espionnage industriel. Un facteur économique donc, mais aussi culturel. La Chine, c’est une culture différente qui réussit dans un monde mondialisé et uniformisé. Souvent en Europe on observe une incompréhension de ce régime hybride qui fusionne communisme politique et capitalisme économique.
Pour finir, véritable choc ou simple tourment ? En attendant le verdict, la Chine a tenu à réaffirmer sa puissance le 3 août dernier lors d’une parade militaire commémorant les 70 ans de sa victoire contre le Japon : discipline nord-coréenne, exhibition de son arsenal militaire fraîchement modernisé… Xi-Jinping surplombant la place hautement symbolique de Tian’anmen a prononcé un discours vantant le triomphe du modèle chinois. Too big to fail ?