Baptiste W. Hamon c’est de la folk-country mélancolique à la langue de molière, sans être jamais bien loin du rêve américain. Si la poésie de cet artiste du Chantier des Francos nous a frappé sur scène, lors de notre rencontre, sa gentille et son naturel encore plus.
Tu peux nous parler un peu de ton dernier EP ?
Alors c’est un EP avec des chansons issues d’un enregistrement qu’on a fait il y a trois mois aux États-Unis, il va y avoir un album complet qui va bientôt sortir donc là c’est juste des petites chansons issues de l’album pour teaser un peu. C’était une expérience de fou parce que j’ai enregistré à Nashville au Tennessee après avoir joué dans un gros festival de musique indé au Texas, The South By South-West. C’était un rêve incroyable parce que j’ai enregistré avec des musiciens qui avaient bossé sur pleins de disques que je considère comme cultes. C’était une chouette expérience.
Quelle est la principale différence selon toi entre travailler aux USA et en France pour la musique ?
Il y a pas mal de différences… J’ai pas trop d’expérience en France, j’ai plutôt souhaité enregistrer aux Etats-Unis parce que je revendique une touche folk americana un peu countrisante dans mes chansons. C’est immédiatement naturel pour une grande partie des musiciens américains qui connaissent très bien cette musique (que j’ai découvert quand j’avais vingt ans) alors qu’en France, même si il y a pas mal de musiciens qui connaissent, c’est moins dans la culture, dans les gênes. Les quelques consignes que je donnais aux musiciens sur place étaient des références peut-être un peu obscures pour des musiciens français mais les mecs comprenaient directement, j’ai retrouvé ce truc que je cherchais. Après j’ai enregistré en France, c’est sympa aussi, c’est à la cool. Le monde de la musique est en général assez chouette.
Si je te dis que ta musique sonne de manière mélancolique, tu en penses quoi ?
Et bien ça ne m’étonne pas que tu me dises ça puisque même si j’ai de plus en plus de chansons qui sont dans le registre aérien, peut être un peu joyeux même, ce que j’écoute c’est 90 % de musique triste parce que c’est là que je ressens le plus d’émotion. Assez naturellement j’écris des chansons sur des registres tristes pour transmettre l’émotion que je ressentais. Après c’est vrai que de plus en plus je m’ouvre parce que je me rend compte que l’émotion peut passer par autre chose que des passages en mineur larmoyant. J’ai quand même envie de garder ce côté mélancolique parce que c’est ce qui me touche le plus en tant qu’auditeur donc c’est ce que j’ai envie de transmettre.
Quelle est ta plus grosse fierté artistique ?
Peut-être d’être là où je suis aujourd’hui. A la base je viens d’un milieu pas du tout artistique ou musical, j’ai fait des études qui ne me destinaient pas à être musiciens et c’est à 25 ans que j’ai ressenti que peut-être la vie que je voulais mener était plus dans la création et tout ça. Je me suis lancé sans parachute sans trop savoir où ça allait me mener et c’est vrai que c’est allé assez vite, ça fait trois ans maintenant ! Me retrouver à pouvoir jouer à La Rochelle au théâtre Verdière… J’étais à Montréal il y a deux semaines pour les Francos de Montréal, je vis un rêve absolu tous les jours c’est génial
C’est vrai que trois ans c’est très rapide !
Après oui c’est effectivement assez rapide mais je ne sais pas où je serai dans trois ans non plus ! C’est un milieu où on ne peut pas trop se projeter ni prévoir les succès, donc je profite de chaque instant et j’essaie de faire un maximum de choses. C’est cool !
Explique moi un peu l’histoire de ton EP sur 14-18 !
Alors c’est une histoire, je sais pas si c’est rigolo, mais je suis tombé sur un manuscrit il y a un an écrit pas mon arrière-grand-père que je n’ai pas connu (il est mort bien avant que je naisse quoi) et il a écrit son expérience pendant la Première Guerre Mondiale. A la lecture de ce truc qui fait trente pages avec le parlé paysan j’étais hyper ému, c’était un moment où on commençait à parler de la commémoration du centenaire de 14-18. ça m’a inspiré très vite pour une chanson qui s’appelle Tranchées et j’ai eu envie de lire plus pour mieux connaître ce qui s’est passé pendant la Première Guerre Mondiale parce que j’avais mes souvenirs de lycéens mais pas beaucoup plus. Après d’autres chansons sont venues. Je suis tombé sur l’histoire d’un poète américain qui s’appelle d’Alan Seeger qui s’est engagé dans la légion étrangère et qui est mort dans les tranchées après avoir écrit un superbe poème assez connu aux USA. J’ai trouvé un parallèle entre ma passion pour l’Amérique et le thème que j’avais choisi, j’ai développé le truc pour faire ce petit disque de cinq chansons.
Si tu devais citer un artiste avec lequel tu aimerais travailler ?
Je viens de réaliser un de mes grands rêves parce que je viens de collaborer avec un chanteur américain qui s’appelle Will Oldam qui chante sous plusieurs noms de groupes (Palace dans les années 90 et en ce moment Bonnie Prince Billy). C’est un mec ultra reconnu aux États-Unis dont Johnny Cash a repris une de ses chansons à la fin de sa vie. Il a accepté de chanter avec un duo qui va sortir sur le prochain album. Pour l’instant j’ai encore tellement d’étoiles dans les yeux d’avoir bossé avec ce gars là que je vais attendre avant de donner un autre nom d’artiste avec qui je voudrais bosser !
Tes sources d’inspiration ?
Euh dans pas mal de choses, dans la vie en général, l’inspiration c’est assez mystérieux, c’est à la fois tout ce qu’on a vécu, les rencontres, les expériences, et puis certainement les lectures, les films qu’on a vus, les chansons qu’on a écoute. J’aime les thématiques qui sont utilisées dans la folk et la country américaine, Au delà des clichés ça parle pas mal de vie de l’idéal de al vie à la campagne, c’est assez simple mais mine de rien ça me touche, c’est un peu utilisé en France mais pas autant qu’aux États-Unis. J’essaie de développer cette esthétique sur une poétique que je construis moi à partir des inspirations liées à mes lecture.
Qu’est ce que cela a changé pour toi d’être un artiste chantier des Francos ?
C’est assez incroyable, c’est un dispositif d’accompagnement ultra bienveillant pour un artiste en développement comme moi. On se retrouve à bosser des gens qui vont nous donner leurs points de vue, ils ne nous connaissent pas, le coach scénique n’a pas écouté notre musique. Ce dernier va nous renvoyer son point de vue immédiat sur la manière dont on se produit sur scène, on essaie pendant les sessions du Chantier de travailler sur une direction qui nous a été proposée par le coach. ça nous permet de nous bousculer dans nos habitudes, on ne prend jamais trop de recul entre les répétitions et les concerts, à aucun moment on ne se pose pour se demander si notre disposition de scène est bien, si le batteur devrait pas plutôt être à gauche qu’à droite… Théoriser tout ça, théoriser ma façon d’agir sur scène (est-ce que je dois rester statique, danser…). Là on a l’occasion de le faire avec une personne qui est là pour ça, on avance vitesse grand v, on s’interroge sur des choses sur lesquelles on ne s’était jamais interrogé avant, c’est super cool !
J’allais te demander quels sont tes futurs projets mais je suppose que c’est ton futur album…
Ouais mais en parallèle j’ai écrit un roman que j’ai envoyé à des éditeurs. J’essaie de garder pleins des projets actifs pour anticiper la suite, il faut faire chaque chose en son temps mais comme je disais, je rattrape un peu le temps perdu, j’ai mille choses en tête, j’espère réussir à réaliser tous ces projets et continuer à faire des disques et des chansons…
Et il est sur quoi cet roman ?
Je l’ai basé sur une chanson, que j’ai écrite dans mon premier EP, qui s’appelle Hervé. Il a 28-29 ans et se rend compte que la vie lui échappe, il a pleins de rêves mais il est coincé dans son boulot, il aimerait bien écrire des chansons, des romains faire des voyages… Il se rend compte qu’il va passer sa vie dans un bureau pourri et qu’il n’a pas le courage de dire fuck au système. C’est le cheminement de ce gars-là, c’est dans la chanson et j’ai repris comme thématique pour le livre.
Pourquoi être venu au français dans tes textes alors que tu écrivais plutôt en anglais ?
C’est bizarre parce que j’ai écrit mes première chansons en anglais puisque la majeure partie de ce que j’écoutais c’était de la musique anglophone, de la folk et country américaine. Le cerveau est un peu curieux parce que quand j’ai voulu écrire mes premières chansons ce sont des mots anglais qui me sont venus, parce que mes références étaient anglophones . En parallèle j’écrivais beaucoup de poèmes en français. Les rares fois où j’avais essayé d’écrire des chansons en français je n’y arrivais pas, je me suis dit bon j’écris des chansons en anglais et des poèmes en français. Le déclic est venu quand j’ai commencé à écouter beaucoup de musique française des années 60 comme Barbara, Brel, Adjani, Moustaki… Après six mois d’écoute intensive, mais joyeuse (même si j’écoutais des chansons tristes), j’ai découvert un monde que je ne connaissais pas (pour moi c’était celui de mes parents) et je me suis assis à mon bureau et j’ai écrit une chanson en français. Je me suis dit putain je suis certain que c’est parce que mon cerveau a assimilé des codes d’écriture et d’interprétation en français qu’enfin je parviens à écrire ma première chanson en français. A partir de là une écriture en français étant nécessairement plus aboutie pour moi qui suis francophone… J’écris encore de temps en temps des chansons en anglais mais c’est plus pour le fun. Écrire en français me permet d’aller au bout de ce que je veux dire et de l’esthétique que je veux proposer.