CINÉMA

Une seconde mère – Les petites entreprises

Une seconde mère illustre parfaitement le thème de l’année. Avec Bande de Filles de Céline Sciamma et Mustang de Denis Gamze Ergüven, Anna Muylaert contribue au ton du cinéma de 2015. Il a été prêté à Lambert Wilson et son discours hypocritement féministe à Cannes bien des louanges. Cependant, le féminisme et le féminin de cette année existent dans les films des réalisatrices évoquées précédemment et pas dans les discours pompeux. Ils existent lorsque Céline Sciamma donne du Rihanna à chanter sous des lumières bleues à de nouvelles actrices, ils existent lorsque Denis trouve la force de filmer une histoire difficile : les filles mariées de force encore aujourd’hui. C’est en cela que l’année 2015 est féministe. En un an, les femmes qui ont pris la caméra ont réalisé des comédies humaines à l’humour fin et à l’œil avisé sur le monde. 

Val’ est une sorte de nurse, femme de ménage, cuisinière et psychologue pour une famille riche de Sao Polo. Plus esclave que réellement salariée elle est logée dans une chambre de bonne et nourrie sur une petite table. Seulement, si cela est un peu pathétique, il n’y a rien de violent ou de cruel dans la façon de le raconter. C’est une sorte d’inégalité banale. Val le vit donc comme cela. C’est vrai, elle devrait pouvoir se baigner dans la piscine de la maison – surtout après quatorze ans de loyaux services- mais cela ne s’est jamais fait, pourquoi tout chambouler ? Seulement, si Val’ pense cela, ce n’est pas la cas de sa fille qui va débouler dans la maison alors que sa mère ne l’a pas vue depuis 6 ans. Cette intrusion va tout déranger : Jessica mange de la glace des patrons, Jessica nage dans la piscine, Jessica dine avec les patrons. A travers ce fond sociale, des histoires d’amours -relativement malsaines d’ailleurs- celles-çi interviennent comme des ovnis dans l’histoire mais par la discrétion, ne font que souligner le propos principal. L’enfant des patrons dont s’occupe Val’ depuis ses 3 ans n’a qu’une question en tête : «  Jessica, tu es vierge ? ». Cette phrase témoigne de l’image que l’on se fait de la femme et de comment la réponse changera radicalement l’image que l’homme à côté se fait de vous.

© DR

© Memento Films

L’humour lui, se fait discret mais croulant lorsque Val’ trop fière de sa petite révolte, rentre dans la piscine où il n’y que 30 centimètres d’eau et appelle Jessica pour lui raconter ce qu’elle fait, qu’elle sache pourquoi « c’est trop dingue ». Jamais, Anna ne se moquera de ses personnages, la compassion sera constante et le sourire aussi. Il n’y a pas de grand malheur même si Jessica et Val sont pauvres, cela n’est pas au centre de l’histoire. Finalement, elle raconte ce que bien des gens ont raconté mais d’un point tellement novateur de compassion et d’amour – du cinéma, des gens – que cela devient incroyable. Anna aime le cinéma, le respecte et lui offre un beau cadeau avec Une seconde mère.

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© Memento Films

Tout dans Une seconde mère semble être une douce révolte : le cadre, très divisé en parties symétriques dans lesquelles les patrons s’éclatent sera déformé par Jessica qui ne se cale jamais dans une des découpes. De même pour l’histoire, on ne satisfait pas du schéma situation-action où les personnages subissent un élément perturbateur qui conduira à une résolution. Non, là on va de galère en galère, des fois gigantesque et des fois pathétiques comme le ventilateur en panne ou le matelas au fleurs trop kitsch. Avec leurs petites entreprises, Sciamma, Erguven et Muylaert déclenchent quelque chose pourquoi pas prêt à devenir gigantesque : toutes ces femmes et Anna particulèrement, parvenues à filmer la société de manière très singulière semblent réinventer l’humanité au cinéma.

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