Il y a les mots doux et les plus durs, ceux que l’on aime entendre, ceux que l’on murmure. Il y a les mots qui servent de grandes causes, d’autres qui se font plus rares et timides. Puis il y a ceux qui créent un refrain et une chanson, ceux qui nous suivent tout au long de notre chemin. Mais qu’arrive-t-il si un jour nous perdons tous ces mots, ces compagnons de route, qui nous sont si précieux ?
Ne vous fiez pas aux apparences. Jeanne a beau avoir dix ans, être douce et timide, elle n’en cache pas moins un caractère fort et surprenant.
Jeanne aime les cours de français, elle aime écrire et imaginer de longues péripéties. D’ailleurs, elle est sur le point de traverser l’océan, en bateau, pour rejoindre son père qui vit sur l’autre continent. Malheureusement, rien ne se passe comme prévu : remake de Titanic, l’iceberg et l’histoire d’amour en moins, le bateau chavire et tout l’équipage sombre dans les abysses.
Jeanne, elle, est saine et sauve. Ce qui l’a sauvée ? Avoir pensé très fort à un mot, son favori, celui qui résonne comme un havre de paix, celui qui l’aide à oublier la noirceur des heures : « douceur ». Deux syllabes, « doux » et « sœur », qui lui offrent confiance et détermination.
Pourtant, quelque chose ne va pas. Certes, Jeanne est en vie tout comme son frère Thomas qui l’accompagne. Mais rien, aucun son, aucun mot, plus rien ne sort de leurs bouches. Muets, ils ont perdu tout leur vocabulaire, envolé par les rafales de la tempête qui les a menés ici.
Voilà donc leur nouvelle maison : une île où s’étendent à perte de vue les plages de sable fin et la mer. En parlant de la mer, en voilà de bien étranges poissons ! Jeanne s’approche, curieuse de voir ces drôles de formes apparaître. Un « a », un « e », un « t », voilà que la mer rend à Jeanne et Thomas ce que le vent leur a volé, des lettres, à l’image d’un Scrabble géant font leur apparition, des mots se dessinent, ces choses que Jeanne et Thomas ne connaissent plus.
Avec tout cela, ils n’ont pas vu arriver à leurs côtés deux musiciens vêtus de blanc. L’un d’entre eux se nomme Monsieur Henri. Il est sûr de lui, cette île a des pouvoirs magiques, en quelques jours, elle leur rendra l’usage de la parole.
Aux gré de leur promenades, Jeanne et Thomas découvrent des lieux bien peu communs : un magasin pour trouver des mots d’amours avec tarifs réduits pour les ruptures, un autre pour dégoter la rime qui manquait à son poème ou encore celui-là, plus loin, qui offre l’étymologie des mots.
L’île est merveilleuse et cache bien des trésors, comme cette petite ville qu’observent de loin nos deux protagonistes. Il s’agit là de la Ville des mots où les adjectifs, peu scrupuleux se marient avec le premier nom venu, tandis que les adverbes jouent les forts quand les articles eux, ne font que suivre la cadence.
Evidemment, même sur cette île tout n’est pas rose. Il arrive parfois que les mots, à force d’être utilisés et répétés à tout bout de champ, finissent par se fatiguer et s’user. C’est d’ailleurs ce qui arrive à cette petite phrase, celle que l’on connaît si bien, celle qui nous fait frissonner, rêver ou même pleurer : « Je t’aime ». Les sept syllabes étaient là, allongées dans leur lit d’hôpital sous les yeux bienveillants de Jeanne, fatiguées et presque effacées.
Voyant les larmes que Jeanne peinait à ravaler, Monsieur Henri lui dévoila l’une des règles d’or :
« Il faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout de champ. Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres en racontant des mensonges. Autrement, les mots s’usent et parfois, il est trop tard pour les sauver ».
Quelques jours plus tard, Jeanne, découvrit une usine bien particulière : une usine à mots. Il ne s’agit en rien d’un lieu où tout est déterminé à l’avance, bien au contraire. Là, Jeanne peut laisser libre court à son imagination, elle peut jouer avec les mots, et avec les temps aussi. Passé, présent, futur, tout y passe. C’est sans même s’en rendre compte que les mots lui reviennent. Monsieur Henri avait donc raison : cette île est magique et possède bien des secrets, qui ne demandent qu’à être découverts. Alors, qu’est-ce que tu attends ?