CINÉMA

Pauline à la plage ou l’échiquier de l’amour selon Rohmer.

Eric Rohmer est un cinéaste français décédé le 11 janvier 2010 à Paris à l’âge de 89 ans. Issu du mouvement de la Nouvelle Vague (lancé par Truffaut, Godard et compagnie), il a très vite pris son indépendance cinématographique et a réalisé pas moins de 40 long-métrages de 1954 à 2007. D’un style qui lui est propre -très théâtrale et épuré, ne laissant place qu’à l’essentiel : les mots-, Rohmer est toujours parvenu à parler de l’amour avec une justesse incroyable et une touchante simplicité. Ainsi, il est aujourd’hui reconnu comme étant l’un des plus grands auteurs français de sa génération.

En 1983, Rohmer écrit et met en scène Pauline à la plage. Au travers de quatre personnages en vacances sur les plages normandes, il nous livre les différentes visions de l’amour auxquelles nous sommes si souvent confrontées, et nous met face à nos propres interrogations. « Qu’est-ce que l’amour ? », « Qu’elle est notre conception de l’amour ? », « D’ailleurs, l’amour ne se vit-il pas plus qu’il se définit ? ». Autant de questions posées, sans jamais y apporter de réponse qui nous correspond à tous. Car pour Rohmer, il n’y a pas un seul point de vue. Chacun a sa manière de vivre ce qui lui arrive et d’y réagir. Et jamais il ne pose de jugement sur le moindre de ses personnages, se contentant toujours d’exposer les multiples visions du monde (et de l’amour) qui le travaille, le tout dans des décors minimalistes mais souvent chaleureux. Pauline à la plage, donc, n’est assurément pas son meilleur film, mais c’est probablement celui qui synthétise le mieux son cinéma. Détails  :

Les paragraphes qui vont suivre sont constitués de quelques éléments susceptibles de spoiler l’histoire, mais l’intérêt du film ne se situe vraisemblablement pas dans son scénario mais bien dans ses pistes de réflexion.

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Les Films du Losange

Marion est la cousine de Pauline. A la plage, elle rencontre Pierre, un vieil ami et ancien amant. Elle est contente de le revoir, mais ne désire pas nouer une relation avec lui qui aille plus loin que l’amitié. Aussi, elle fait la connaissance d’Henri, de qui elle croit tomber amoureux. Selon elle, l’amour ne peut s’éprouver qu’à l’égard d’une seule personne dans la vie. Cette personne lui tombera dessus par hasard et Marion « brûlera » pour elle directement. Elle croit dur comme fer à sa conception de l’amour, mais reconnait néanmoins que ça entraîne des erreurs. Elle s’est d’ailleurs séparée il y a peu d’un mari, qu’elle pense donc ne jamais avoir réellement aimé.

Pierre vit seul. A la plage, il rencontre Marion, une vieille amie et ancienne amante. En la revoyant, il se remémore leur relation passée, et, très vite, il s’éprend de nouveau d’elle. Mais son amour n’est pas réciproque… Le voilà donc jaloux d’Henri, qui est parvenu à séduire Marion en une seule journée. Il ne croit pas qu’Henri et Marion puissent former un couple stable car, pour lui, une relation se construit dans la durée, et l’amour est avant tout question de temps. Il « vit dans l’avenir », lui dirait Henri.

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Henri voyage beaucoup. A la plage pour quelques jours, il y rencontre Marion. Très vite, le courant passe entre eux, et il parvient à coucher avec elle le soir-même de leur rencontre. Il est uniquement de passage ici, mais souhaite profiter au maximum de chaque instant. Ainsi on apprend qu’en plus d’avoir séduit Marion, il entretien depuis quelques temps une relation avec une marchande. Lui voit l’amour comme quelque chose d’éphémère. Une succession de rencontres qui se vivent dans l’instant et avec passion.

Pauline enfin, est la jeune cousine de Marion. Elle rencontre Henri et Pierre en même temps qu’elle, et se plait à les écouter parler d’amour. Elle fricote avec Sylvain, un jeune homme qu’elle a croisé plusieurs fois à la plage, et se fait draguer par Pierre, puis par Henri. Mais Pauline vit les événements avec beaucoup de recul. Elle refuse de donner sa conception de l’amour. D’ailleurs, elle n’en a probablement pas encore à son âge, c’est pourquoi elle préfère se taire et apprendre de ses expériences et des expériences des autres. Après les péripéties de l’été, peut-être Pauline pourra-t-elle enfin livrer son verdict et nous donner une définition cohérente de cette chose complexe qu’est l’amour. Ou peut-être pas…

Fin du spoil.

Monsieur Rohmer nous offre ici, comme dans la plupart de ses films, une leçon de philosophie, voire une leçon de vie, dont on ressort plein de questionnements. Quatre personnages qui, malgré le jeu très théâtralisé de leurs acteurs, transpirent le vrai et la sincérité. Qui ne s’est jamais senti comme Pierre ? Qui na jamais eu envie de se comporter comme Henri ? Qui n’a jamais rêvé comme Marion ? Et, bien sur, qui ne s’est jamais posé les questions que se pose Pauline ? Pauline à la plage aurait donc très bien pu être le dernier long-métrage de Rohmer, son oeuvre testamentaire, tant ce film représente à lui seul ce cinéma à la fois si profond, foisonnant et si simple, vivant de ce grand auteur décédé il y a maintenant cinq ans.

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