Un paquebot hôpital itinérant, et entièrement gratuit, destiné aux défavorisés. A première vue, une utopie d’ado refaisant le monde dans la mousse d’une bière éventée. A ceci près que Don et Deyon Stephens n’étaient pas des adolescents, mais un couple de riches philanthropes, et que ce rêve est devenue une réalité plusieurs dizaines d’années. Actuellement stationné à Madagascar, Maze vous fait embarquer sur un navire unique au monde, le Mercy Ships.
A peine passée la porte du Hope Center, la base à terre du bateau installée à l’hôpital de Tamatave, que l’on ne sait déjà plus où donner de la tête. Une ribambelle de gamins courent dans tous les sens, pédalent sur des tricycles, des tracteurs, crient, jouent, s’amusent. Mais pas n’importe quels enfants. Des enfants cabossés par la vie, parfois dans l’attente de traitements depuis des mois, depuis des années. Comme Dylan, 5 ans et brulé au dernier degré sur toute la partie gauche du corps, qui s’amuse avec Diallo et son hernie. Ici, pas de bambins cruels pour les traiter en monstres de foire. Un traitement à part qui les a parfois poussé à déserter l’école, pour s’enfermer chez eux, comme me le raconte la grand-mère de Dylan.
Dès qu’ils me voient, les gamins accourent pour être pris en photo, ils se prennent au jeu, prennent la pose, du plaisir aussi, alors je prends mon temps. Ils se pressent évidemment pour voir le résultat. Difficile de croire qu’on est dans un hôpital, mais ici, il n’y en a pas tant. C’est parfois la première fois pour ces gamins qu’ils peuvent mettre les pieds dans un hôpital. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Africa Mercy, a décidé d’ajouter Madagascar à la liste de plus de 70 pays en voie de développement par lesquels il est passé. Jusqu’ici il est venu en aide à plus de 2.5 millions de personnes, pour un cout de plus d’1 milliard d’euros. Il restera même un an de plus que prévu, jusqu’en juin 2016.
Ici chaque étape du processus est entièrement gratuite. Des consultations dans douze villes du pays, à l’acheminement jusqu’à la côte est, à l’hébergement, en passant par la nourriture, et évidemment les soins médicaux, scanners, et opérations chirurgicales. Pour chacune des six spécialités chirurgicales proposées sur le bateau (faciale, plastique-reconstructive, pédiatrique et orthopédique, ophtalmologique, générale, et fistule obstétricale), les patients sont opérés par les meilleurs spécialistes au monde. Chacune des blouses blanches sert sur le bateau pour une certaine durée, bénévolement, et repart quand elle le souhaite. A l’exception faite de ce chirurgien plastique présent depuis 28 ans, dont les enfants ont grandi sur le bateau, au milieu d’autres enfants de bénévoles, au gré des arrivées et des départs. A vrai dire, passées les vingt premières minutes, j’ai complètement oublié que nous étions sur un bateau. Où était-ce un hôpital ? un foyer ? Ou un centre commercial ? Une école ? En réalité, tout ça à la fois.
Unc communauté à part entière
Sur le pont 6, les dessins, et autres réalisations plastiques qui jonchent le mur ne laissent pas de doute, il s’agit bien d’une école. Chaque enfant présent sur le bateau depuis deux ans, dispose du droit d’intégrer l’école, de la maternelle au lycée, diplôme à la clef. CDI, cours de musique, EPS, tous les supplices imaginés sur terre se déclinent en mer. Pendant le cours d’arts plastiques, je rencontre des petites têtes affairées à des collages de mouchoirs colorés, dans le réfectoire du bateau. Les cours de sport ont lieu sur le pont supérieur, qui fait également office de cour de récréation, ou dans le port quant la situation le permet. Myriam la prof de français, m’explique en souriant qu’on y rencontre les mêmes problèmes, que dans n’importe quelle école. Seulement ici, les classes sont constituées de petits groupes, et les camarades sont bien plus que de simples collègues. Parfois à bord depuis leur naissance, ils évoluent ensemble au sein d’une école qu’ils ne quittent jamais, voyageant de pays en pays chaque année. En vérité, ils constituent une famille. Bien sûr, originaires de toutes les parties du monde, dans un souci de compréhension, la langue à bord du bateau est l’anglais. Au quotidien parfois, cette langue reste muette, quand passe une baleine au large, à l’instant où frères, sœurs, et maîtresse d’école collent le nez au hublot d’un même geste.
Pour permettre ce petit miracle, c’est plus de 1 600 bénévoles qui passent sur le bateau chaque année, et chaque jour plus de 2 000 bouches à nourrir. Chaque jour, l’équipe chargée du ravitaillement, passe commande de 9 000 œufs, 300 kilos de fleurs… Des quantités astronomiques qui doivent être pourvues, et stockées intelligemment, afin de ne pas déstabiliser le marché alimentaire local, d’où proviennent la majorité des produits. Pour éviter une inflation inconsidérée, qui mettrait à genoux une population à qui il tentent de venir en aide, le bateau passe commande à des fournisseurs locaux bien intégrés dans le port de Tamatave. Les produits médicaux quant à eux, sont acheminés depuis une base en Hollande, et une autre au Texas. Un défi logistique immense, relevé au quotidien par ce paquebot initialement prévu pour le transport de train de marchandise… en Hollande justement, le monde est petit.
Des financements illimités
Nés de la fortune du couple Stephens, ce bateau dépend entièrement des dons. Parfois qualifié d’organisation évangéliste, l’initiative est comme son nom l’indique issue de la générosité des différentes congrégations d’églises du monde entier. Le Mercy Ships est un bateau chrétien et fier de l’être. Tout au long des coursives du bateau, il est évidemment question des valeurs de la religion, de venir en aide à son prochain, et du don aux plus défavorisés, fondements même du projet. La croyance n’est pas une condition sine qua non pour sélectionner les patients. Néanmoins concernant les bénévoles, pour tout séjour de plus d’un an, la croyance en Dieu est requise. Non seulement ils enchaînent les séquences deux de douze heures de travail pour deux jours de repos, mais surtout payent la participation mensuelle de 350 dollars demandée à TOUS les bénévoles. En réalité c’est donc bien souvent l’église de ces paroissiens qui sponsorisent cette expérience. En dehors des travailleurs malgaches locaux qui eux, sont rémunérés, mais qui ne représentent qu’une infime partie de l’effectif. Chacun des bénévoles doit s’acquitter de ce don, à l’image de son directeur général Roland Decorvet, ex-PDG de Nestlé Chine. Si la générosité avait des turbines, nul doute que ce serait celles du Mercy Ships.