Récemment, au cinéma on pouvait voir une affiche sur laquelle trônait un Christian Bale mal dans sa peau car bien trop loin de son bac à sable habituel. Autour de lui, une atmosphère lourde, surjouée sans ironie. On parsème le tout d’un souci du détail qui vient impitoyablement rendre l’image oppressante car trop vraie, trop authentique pour nous faire plonger dans ce qu’un ingénu pourrait appeler conte biblique mais qu’un érudit appellerait péplum à grand budget. Cette effrayante recette s’appelle Exodus et s’est vue concoctée par le réalisateur britannique (et produit américain) Ridley Scott. Une recette qui s’inscrit dans la lignée de précédents films qui, en soit, ne sont pas mauvais, mais dont les budgets titanesques ont fait perdre toute âme à la pellicule comme au réalisateur. Or il faut savoir que Ridley Scott n’a pas toujours été ce diabolique prêteur sur gage attribuant son savoir à qui le lui rendra trois fois. Sans lui, une saga intemporelle comme Alien n’aurait sans doute jamais vu le jour. Et c’est en concentrant nos recherches 40 ans en arrière, sur les débuts prometteurs du personnage que l’on aperçoit son premier long métrage, « Les duellistes ». Là dessus, une question se pose : blockbuster sans état d’âme ou bien diffusion d’une grande liberté de penser ?
Nous sommes dans une France qui voit en premier temps s’élever Bonaparte puis régner Napoléon. Le lieutenant Armand d’Hubert (Keith Carradine) est chargé de mettre aux arrêts le lieutenant Gabriel Feraud (Harvey Keitel) pour avoir « abusé » de sa passion pour les duels en blessant gravement le neveu du maire de Strasbourg. Le lieutenant Feraud, incorrigible provocateur, refusera de suivre le lieutenant d’Hubert. Une tension progressive oppose les deux officiers qui se battront sans merci jusqu’à ce que la guerre les sépare. Malheureusement le futur des deux protagonistes les amènera à recroiser le fer ou le feu dans une succession de duels à travers l’Europe et ses batailles.
Souvent Ridley Scott s’est intéressé à des faits historiques, et qui dit « fait historique » dit contrainte de l’authenticité du moment. Mais le jeune réalisateur était déjà un homme de défi et l’on ne peut lui soutirer cette qualité qu’il saura conserver à travers le temps. C’est ainsi qu’il concentre ses recherches sur des duels qui pour lui se doivent d’être réalistes autant dans la technique que dans la tension des fers et des regards qui se croisent et se capturent. Cette même recherche de l’authenticité serait maladive dans le sens où Ridley Scott contamine ses acteurs. Harvey Keitel et Keith Carradine pourraient autant se détester dans leur vie que dans ce film, la différence ne se noterait pas. Mais au delà d’interpréter à la perfection deux ennemis jurés, ce sont aussi deux complices, deux semblables qui, s’ils s’assemblaient, n’en deviendraient que plus forts. Or, la caméra n’offre un cadre que trop petit pour qu’ils se le partagent, l’un doit forcément abattre l’autre et c’est cette insatisfaction permanente qui fait finalement vivre le film.
Si ce n’était que l’authenticité des combats, des lieux ou des décors qui importait à Ridley Scott, le film aurait échappé au prix du Jury du festival de Cannes de 1977. Or, la récompense a bel et bien existé. Pour l’obtenir il a aussi fallu que le réalisateur façonne cette atmosphère ambiguë qui rend paradoxalement le film très calme et très oppressant. Il a fallu donner aux personnages une certaine complexité qui ne fait tout de même pas s’engouffrer la trame dans un drame existentialiste trop profond pour en ressortir aisément. Il a fallu créer deux sentiments qui s’opposent et se rejettent comme deux aimants que l’on voudrait joindre. Ridley Scott avait tout concocté pour faire de ce film un classique du cinéma britannique. C’est malheureusement en acceptant d’aller chercher son inspiration dans les finances hollywoodiennes qu’il coupa sans doute les nombreuses cordes qu’il avait à son arc.
Ridley Scott, en réalisant Les duellistes s’est en fait lui même battu en duel avec les défis que représentaient le film. Malheureusement cette dévotion que le jeune réalisateur mettait à vaincre ces contraintes a lentement disparu. Aujourd’hui son talent se voit honteusement placé au service du rendement, et des défis sans doute plus importants qu’auparavant se voient réglés prestement par le pouvoir mélioratif de l’argent. Peut on ainsi dire de cet artiste que le temps l’aura vu évoluer ou bien lentement décliner ?