SOCIÉTÉ

Les dessous d’une destruction mentale des soldats pilotes de drones américains

L’alliance entre l’armée et la technologie a toujours été de mise. Une des plus grandes avancées dans ce domaine a été la création des drones et de l’intelligence artificielle au sein de la politique sécuritaire des États. Thème majeur de la rencontre entre les universités canadiennes et la défense du Québec en février dernier, sujet majestueux pour le site pro-russe français Sputnik, ou encore trame principale du dernier film d’Andrew Niccol, Good Kill, sorti en salles le 22 avril dernier et mettant en scène Ethan Hawke en soldat torturé par son travail de pilote de drones, la haute technologie de l’armée américaine fait réagir tant par son efficacité que par sa légitimité. Certains viennent même à parler de violation de la Charte des droits de l’Homme et de son illégalité. 

Drone predator de l'US Air Force Droits réservés

Drone predator de l’US Air Force
Droits réservés

Une multiplication des drones et des technologies

En 2011, on apprenait que près de 76 pays possédaient des drones dans leur base armée. Les Etats-Unis en possèdent, à eux seuls, près de 10 000 drones de renseignement et de combat confondus. En tout, c’est quasiment 21 000 appareils qui ont été utilisés par la seule guerre en Irak en une seule année.
Les États-Unis font partie des trois pays, avec Israël et la Grande-Bretagne, à posséder des drones de combat de type « Predator ». Ces derniers ont la capacité de mener une attaque aérienne et de lancer des missiles pour intervenir directement sur des bâtiments, groupes armés ou véhicules terrestres. Les engins coordonnent également les missions en complétant les satellites et troupes de renseignement basés au sol.
Le 11 mars dernier, on apprenait que des drones d’observation américains allaient être envoyés en Ukraine après la mort de 65 soldats ukrainiens. Il y a donc bien une volonté de coordonner la sécurité mondiale et la géopolitique à travers ce plan sécuritaire.
L’US Air Force coordonne d’ailleurs ses stratégies à une situation géographique plus proche. Le 18 avril dernier, le journal allemand Der Spiegel nous informait que les attaques de drones américains partaient de la base aérienne de Ramstein, en Allemagne. Ces drones, souvent utilisés au Yémen, en Afghanistan ou encore en Irak avaient l’avantage de rentrer plus rapidement à la base une fois leur mission effectuée, mission dont l’objectif se ramène principalement à de l’assassinat de chefs terroristes.

L’amélioration des drones n’est, de plus, pas près de s’arrêter. En effet, le 14 avril dernier, l’US Navy a présenté un tout nouveau type de drones, les LOCUST. Du nom de « sauterelle » en français, ces drones sont totalement autonomes et beaucoup plus nombreux que les Predators du fait de leur petite taille. En effet, la « technologie d’essaim de drones à bas coût », comme elle se nomme officiellement, consiste en le lancement de plusieurs drones simultanés. Ces derniers déploient alors des ailes qui leur permettront de coopérer entre eux et donc d’échanger des informations synchronisées pour permettre un meilleur renseignement. Bien que les multiples petits engins soit autonomes, ils seront tout de même surveillés par un pilote à distance qui pourra reprendre la main en cas de problème imminent.
Ces drones sont présentés comme étant capables d’améliorer la protection du personnel militaire déployé puisque les appareils pourront estimer des dommages collatéraux moins importants mais plus nombreux du fait de leur multiplicité.
Ces drones, encore plus automatisés que les premiers, posent davantage de questions et de critiques de la part des protecteurs des droits de l’Homme qui dénoncent une violation des règles de la guerre.

Les drones de combat face à la contestation des organisations protectrices de l’intégrité humaine

Récemment, selon les sources du controversé site Sputnik, les drones de combat américains ont tué au Pakistan entre 1 900 et 3 220 personnes entre 2004 et 2012. Parmi les victimes, entre 290 et 550 auraient été des civils.
La plupart de ces morts sont justifiées par l’armée américaine par le souci de combattre le terrorisme et les bandes armées. La lutte intense ne permettrait pas d’épargner totalement les civils. C’est ainsi que certaines organisations soucieuses des valeurs morales et des droits des individus témoignent de leur colère face aux méthodes de l’armée américaine. Pour elles, le recours à des éliminations ciblées via des drones armées sont le fruit d’une lâcheté certaine et d’une violation des valeurs militaires de bravoure et de prix du sang. Une dénonciation directe d’une illégalité des parties aux conflits est mise en avant. C’est surtout la non-protection des civils qui est répliquée.
Toutefois, le département de la Défense se justifie particulièrement sur le fait que chaque attaque ciblée est prévue en conséquence de cause et possède un objectif précis. Aucune attaque civile n’est établie et des opérations de nettoyage des zones sont le plus souvent faites pour que les civils soient épargnés.
Il est cependant triste de constater qu’il y a toujours des erreurs de commises. En témoignent encore les révélations le 23 avril, c’est à dire à l’heure même où nous écrivons cet article, de la Maison Blanche et des deux otages occidentaux tués par erreur par un drone américain. Washington a directement voulu se rattraper en annonçant que l’objectif avait été néanmoins atteint puisque le porte-parole du réseau extrémiste, l’américain Adam Gadahn avait été tué. Mais cela n’excusera surement pas le décès de Warren Weinstein et de l’italien Giovanni Lo Porto. La Maison Blanche s’est exprimée en parlant d’une « opération qui visait une base d’Al-Qaida dont nous n’avions aucune raison de penser qu’elle abritait des otages. Nous n’avons pas assez de mots pour dire combien nous regrettons cette terrible tragédie ».

Ces velléités vis-à-vis de l’utilisation des drones se ressentent également directement auprès des pilotes. Témoignage d’un soldat au Courrier International, ou encore récit basé sur des faits réels au cinéma, l’armée peut parfois se retourner contre elle-même.

Les drones de combat mal digérés par les pilotes eux-mêmes 

En établissant un parallèle entre l’entretien de Brandon Bryant, pilote de drone au sein d’une unité spéciale de l’armée de l’air américaine basée au Nouveau-Mexique, dans le Courrier International et Good Kill, nouveau film d’Andrew Niccol racontant l’histoire vraie d’un pilote d’une base du Texas ayant des troubles schizophréniques à la suite de ces opérations, on s’aperçoit rapidement que le doute sur la légitimité des actions à distance se ressent au sein même de l’armée.

Ethan Hawke en pilote de drone dans "Good Kill"  Droits réservés

Ethan Hawke en pilote de drone dans Good Kill.
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Dans les deux exemples, les conditions sont similaires. Les opérations se situent dans des containers climatisés et hyper-connectés. Par équipe de quatre ou cinq, chaque soldat a sa mission. Certains sont en relation directe avec la direction, un autre observe le terrain et marque la cible au laser tandis qu’un dernier actionne le missile. Dans l’US Air Force, ce container se nomme « le Cockpit », le cerveau et l’intérieur du drone. C’est une action collective mais dont chaque soldat ressent fortement sa part de responsabilité à chaque décès à l’autre bout du monde. Le moindre dérapage peut être destructeur d’une vie. C’est ce que l’on voit tout particulièrement dans le témoignage cinématographique de Niccol qui met en scène un pilote de drone perdant la tête en passant son temps à tuer des gens la journée, et à aller chercher ses enfants à l’école le soir pour finir à manger en famille.

Brandon Bryant, lui, avait pour mission de marquer la cible au laser. Lorsqu’on marque la cible, c’est qu’on a eu le feu vert du supérieur et que le pilote du drone doit tirer le missile qui mettra environ seize secondes à exploser. C’est pendant ces seize secondes que les palpitations du coeur s’embrasent à l’idée de voir un imprévu arriver. Un enfant qui traverse par exemple. C’est ce qui est arrivé à Brandon Bryant. Dans le Courrier International, il témoigne :

“On vient de tuer le gamin ?” demande-t-il à son collègue assis à côté.
“Je crois que c’était un gamin”, lui répond le pilote.
“C’était un gamin ?” continuent-ils de s’interroger dans la fenêtre de messagerie instantanée qui s’affiche sur leur écran.
C’est alors que quelqu’un qu’ils ne connaissent pas intervient, quelqu’un qui se trouve quelque part dans un poste de commandement de l’armée et qui a suivi leur attaque : “Non, c’était un chien.”
Ils se repassent l’enregistrement une nouvelle fois. Un chien sur deux jambes ?

A ce moment précis, la vision du monde change, la vue s’obscurcit et le ciel parait immensément vide. Rentrer chez soi le soir est bien plus compliqué qu’un autre jour. La plupart du temps, le soldat ne parle pas de sa journée à sa femme. Elle est compréhensive puisqu’elle s’attend au pire. Et finalement, n’est-ce pas ce renfermement qui témoigne du mal-être qui ronge de l’intérieur ?
Brandon Bryant, lui, est revenu chez sa mère depuis quelques mois. Après avoir accumulé près de 6 000 heures de vol, il ne pensait pas voir tant de gens mourir. Il raconte aussi une de ses missions de surveillance d’une troupe de soldats américains qui se reposait pour repartir le lendemain. Alors qu’il guettait les paysages d’Afghanistan du haut de son container du Nouveau-Mexique, les brouilleurs mis en place par les talibans n’ont pas permis d’établir un contact avec les soldats au sol qui se reposaient. Cinq d’entre eux sont morts d’une voiture piégée.
Une scène similaire est présente dans Good Kill. Alors que la mission de surveillance s’était déroulée comme prévu et que le pilote discutait de Las Vegas avec le commandant de la troupe au sol, ce dernier n’a pas pu finir sa phrase à cause d’une mine plantée là, au milieu d’un chemin de terre.
Ces deux faits constituent un ensemble de causes aux velléités contre le fonctionnement des drones. Ne pas pouvoir agir à distance et ne pas pouvoir protéger ses coéquipiers pour finalement les voir mourir avec une telle fausse proximité.

Brandon Bryant finit son témoignage en évoquant sa démission. Alors qu’il avait été renvoyé en Afghanistan pendant quelques mois, il a du retourner dans le container après sa mission. Désormais, il ne le voyait plus de la même façon. Elle ressemblait bien plus à une cage qu’à un cockpit, le temps était long, il suffoquait. Un jour, alors qu’il ne supportait plus rien dans la vie, même ses amis, et qu’il ne dormait plus, le médecin lui a découvert une maladie post-traumatique. Il n’est plus jamais retourné sur les missions lorsqu’un jour, alors qu’il allait travailler, un de ses collègues lui a lancé : « Hey, lequel de ces fils de pute on se fait aujourd’hui ? »
Dans le film de Niccol, l’accent est davantage mis sur la destruction de la vie du pilote. Apparition d’une violence post-traumatique envers sa femme, alcoolisme, manque d’affection totale, manque de parole. La situation était devenue invivable autant pour lui que pour ses proches. Des visions constantes de mort et d’images satellites apparaissaient dans sa tête, une crainte insoutenable de faire du mal et de confondre talibans et monde musulman, il était temps pour le soldat de démissionner. Finalement, une certaine schizophrénie s’était installé en lui. Le soldat bon père de famille était finalement presque devenu un fantôme. Un fantôme qui ne pensait plus qu’aux victimes, au détriment des personnes vivantes.

 

 

Rédacteur et Correcteur chez Maze Magazine, également fondateur et rédacteur en chef du site web d'actualité lecontinu.fr Étudiant en droit, il réalise également son premier court-métrage pour le Nikon Film Festival et est scénariste sur des projets en développement.

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