CINÉMA

Cannes 2015 : Dheepan – Les obsessions d’Audiard

Dheepan, le nouveau Jacques Audiard, après les très célèbres De rouille et d’os et Un prophète, est aujourd’hui présenté à cannes dans les films en compétition. Audiard n’en est plus à son coup d’essai : Grand prix du Jury, nominé au prix de la mise en scène, on arrête plus le fils de son père. Sa signature est singulière : pas d’extravagance, pas de voyeurisme, plutôt une poésie et une certaine timidité à filmer les gens. Il s’en dégage un érotisme constant : Audiard ne filme pas deux personnes faire l’amour, il filme une femme se déshabillant lentement dans un couloir pour aller rejoindre les vapeurs noires de sa chambre. Cela permet l’imagination : pour chaque plan, coupé par une fente de porte, Audiard nous laisse le champ libre pour y voir ce que l’on souhaite. Pour s’y faire peur ou s’y complaire. Les obsessions d’Audiard sont connues depuis longtemps : filmer un espace clos, l’enfermement, les groupes… Celles-ci avaient littéralement explosées dans Un prophète (2009).

Dheepan est un soldat des Tigres au Sri Lanka, blessé, il organise un plan pour immigrer en Angleterre. Unique moyen pour partir : créer une fausse famille, il rejoint donc une femme et une enfant de 9ans. Ensemble ils arrivent en France dans une cité où les groupes de dealers règnent. Dheepan est le gardien de quelques bâtiments, sa plus grande volonté est de s’intégrer, lui et sa fausse famille. Il commence à croire en son mensonge : Yalinie est vraiment sa femme, la fille est vraiment la sienne. S’ensuit une volonté paternelle de les protéger mêlée à la paranoïa conséquente à la guerre vécue.

Dheepan revient à ses obsessions, comme l’on pouvait s’y attendre mais avec plus de finesse comme si Audiard lui-même n’était pas au courant, acte inconscient. Ses obsessions plus parcellées, moins brutales. Il y a des groupes qui s’opposent certes, mais ils n’apparaissent jamais en nombre : une personne représente à un instant le groupe à lui tout seul en tant que chef ou passeur de drogue par exemple. L’enfermement est sûrement le point qui diffère le plus au Prophète pour aller rejoindre De rouille et d’Os. Les personnages ne sont pas enfermés physiquement mais dans une situation : un traumatisme qui était dans De Rouille et D’os avec la perte des jambes et dans Dheepan, la guerre. Ce traumatisme, Audiard ne l’impose pas brutalement. Il y a une progression très construite : tout d’abord, quelques scènes au Sri Lanka lorsqu’ils tentent de s’enfuir, puis l’arrivée en France et l’intégration ce qui tourne le film vers quelque chose d’humanitaire, de drame sociale pour finir en tuerie générale. Dheepan est un film de grande qualité qui mérite à coup sûr un prix à Cannes.

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