ART

À perte de vue, Sophie Calle expose au MAC

« J’ai rencontré des gens qui sont nés aveugles. Qui n’ont jamais vu. Je leur ai demandé quelle est pour eux l’image de la beauté. L’un d’eux a répondu : La plus belle chose que j’ai vue, c’est la mer, la mer à perte de vue. »

La série La dernière image réalisée en photographies et en mots en 2010, ainsi que la série de films Voir la mer accomplie un an plus tard, se font toutes deux échos et sont la suite de l’œuvre Les Aveugles (1986) de l’artiste française Sophie Calle. Une artiste plurielle, qui fait appel à différents médias dans la réalisation de son travail artistique, de la photographie, à l’écriture, de la performance à la vidéo. Entre intimité et enquête, l’artiste qui compte parmi les plus importantes de notre époque, fait de sa vie son œuvre. Que ce soit à travers sa propre histoire ou de celle de l’inconnu, de l’autre, à la recherche de moments intimes et souvent indicibles. Le travail de Sophie Calle est poétique, percutant et invite à l’interrogation, à la remise en question.

Pour la série La dernière image, l’artiste est allée à Istanbul à la rencontre d’aveugles qui avaient, pour la plupart, subitement perdu la vue. Elle leur a demandé de lui décrire leur dernière image, ce qu’ils avaient vu pour la dernière fois. Elle réalise alors cette dernière vision, ce dernier souvenir visuel, en photographie, comme apport aux mots. À la lecture de ces témoignages retranscrits par l’artiste, et de ces portraits, comment ne pas prendre du recul ? Cette exposition pousse inexorablement au questionnement, pousse à méditer sur la vue et la cécité. Et vous, que feriez-vous si vous perdiez la vue ? Des histoires percutantes, graves, mais pas de plaintes. Plutôt un rappel à la vie, mis en avant et sublimé par l’approche artistique de Sophie Calle. Le choix de la salle d’exposition, de la blancheur des murs, de l’éclairage réalisé par l’artiste n’est pas anodin, et place alors dans une lumière presque accrue ces histoires tragiques, sans fioriture. Une grande pièce et une disposition des diptyques et des textes qui permettent de laisser la place à chaque histoire pour s’exprimer.

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Voir la mer (détail), 2011 © Sophie Calle/Adagp, Paris, 2015

Pour Voir la mer, l’artiste raconte : « À Istanbul, une ville entourée par la mer, j’ai rencontré des gens qui ne l’avaient jamais vue. J’ai filmé leur première fois. » Encore ici, la vue est l’élément central, crucial, du travail de Sophie Calle. Dans cette partie de l’exposition, le visiteur est spectateur d’une découverte, de ce moment où des personnes sont face à la mer pour la première fois. Cette installation, où les films sont projetés sur des grands écrans, permet alors de voguer de l’un à l’autre, d’adopter plusieurs angles de vues, et de se laisser envelopper par le son des vagues. Une installation qui permet ainsi de découvrir en très grand format ces visages qui se tournent vers nous, après avoir regardé la mer à perte de vue. Un moment privilégié que nous offre ici l’artiste, un moment capturé, fragile et sensible, à l’image de ses œuvres.

Deux séries qui se rejoignent et s’additionnent parfaitement. Entre audace et poésie, Sophie Calle ose, et l’exposition très justement nommée Pour la dernière et pour la première fois, ne laisse pas indifférent. Des morceaux de vie qu’elle nous partage, qu’elle nous offre à voir, entre perte, absence et découverte.

L’exposition Pour la dernière et pour la première fois est à découvrir au Musée d’Art contemporain de Montréal jusqu’au 10 mai 2015.

Amoureuse de photographie, curieuse, passionnée par l'infinité du monde de l'art et aussi très intriguée par la complexité du monde politique.

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