Pour son dernier film, Marjane Satrapi traverse l’Atlantique et change d’air. L’histoire se déroule à Milton, une petite ville américaine tranquille. Jerry est le gentil employé sans prétention d’une usine de baignoires. Sa routine oscille entre son boulot, ses rendez-vous chez la psychiatre et les conversations absurdes qu’il entretient avec ses animaux domestiques. Il est tiraillé entre son chien Bosco, la bonne conscience, et son chat, le diabolique Mr. Whiskers (« M. Moustache » en français). Ce quotidien de joyeux psychopathe commence à basculer le jour où Jerry décide de conquérir la belle Fiona, nouvelle recrue de la compta. Il devient alors esclave de ses pulsions meurtrières et entame une descente aux enfers.
Bien que l’on soit dans un univers très différent, on peut reconnaître la patte de Marjane Satrapi. Son humour corrosif révélé dans l’attachant Persepolis est présent dans The Voices, avec une forme plus dramatique. Hélas on trouve aussi cette pesanteur, ce gout de l’excès qui imprégnait Poulet aux prunes et le rendait horripilant. Étrangement, il est ici supportable. Plus éparpillé, moins présent et cohérent peut-être. La quasi-totalité du film est racontée du point de vue de son héros psychopathe, le grotesque et la naïveté sont donc légitimement autorisés.
« Même si parfois il y a eu de mauvais moments, très mauvais, il y a aussi des moments d’inspiration et de beauté… lorsque tout fait sens et que les mécanismes élégants et secrets de l’Homme et de Dieu sont révélés dans ses multiples dimensions, et l’univers est dévoilé devant mes yeux, c’est un endroit béni. »
Cette réplique de Jerry, où il parle de sa perception lorsqu’il n’est pas sous médicaments, pourrait aussi bien parler du film. Parfois il y a de très mauvais moments, comme les flashbacks agressifs qui éclairent un peu trop l’enfance difficile du personnage. Mais il y a aussi des moments inspirants et beaux. Lorsque Jerry renverse un cerf en voiture et l’achève au couteau (à la demande du blessé), rendant Fiona recouverte de sang quelques minutes avant d’être tuée, tout en plaçant une devinette sur Lucifer. C’est un carnaval à la fois trash et bon enfant. Les passages les plus drôles sont créés par des situations dégoutantes et morbides. « L’ Homme » de la citation ne serait-il pas Jerry ? Et « Dieu » pourrait être Marjane, sa créatrice, la réalisatrice du film, de « l’univers ».
The Voices est également une énorme référence à Psychose (Hitchcock, 1960), voire une parodie colorée de celui-ci. On y retrouve la schizophrénie et le conflit oedipien. Les paroles : « I get Psycho killer, Norman Bates » (Shimmy Shimmy Ya de Ol’ Dirty Bastard) sont même placées dans une scène de karaoké. On assiste également, vers la fin du film, à un hommage au célèbre mouvement de caméra de la salle de bain de Psychose.
Mais ici, l’enjeu est différent. On connaît le serial killer puisqu’on suit les événements à travers lui, otage sa prison mentale édulcorée. Comme l’explique la réplique citée, Jerry voit la vie en rose, tout baigne, les têtes sans corps de ses victimes sont vivantes, sentent bon, et discutent avec lui gentiment. En revanche, la prise de médicaments le fait redescendre brutalement et lui expose la réalité beaucoup moins belle… C’est pourquoi la majorité du film est un spectacle à l’esthétique assez kitsch étrangement amusant.