Ce 19 mars fut présenté en Conseil des ministres le projet de loi portant sur le renseignement sur internet. Le programme porté par Bernard Cazeneuve et présenté par Manuel Valls a pour vocation d’accroître la surveillance des internautes au nom de la lutte contre le terrorisme. Des moyens seraient alors mis à disposition pour que les fournisseurs d’accès à internet puissent “détecter, par un traitement automatique, une succession suspecte de données de connexion”. Dès l’annonce de ces mesures, les réactions furent vives et entre autre une question se pose : comment renforcer la sécurité sur le Net tout en préservant les libertés individuelles, l’Etat de droit ?
Cette question du renforcement de la sécurité sur internet au nom de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée n’est pas nouvelle. En effet, depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York, émerge au sein des Etats et pas seulement aux Etats-Unis, cette idée d’affermissement de la sûreté. Ainsi, peu de temps après les événements de 2001, George W. Bush signe le Patriot Act qui permet la surveillance de tous les moyens de communication utilisés par les terroristes. Cette loi, bien qu’auparavant contestée, fut approuvée par l’Union Européenne. Plus particulièrement le Sénat français avait voté à l’automne 2014 l’article 13 de la loi sur la programmation militaire relatif à l’autorisation de la surveillance de chaque citoyen à travers sa vie d’internaute. De ce fait, les services de renseignements de la gendarmerie et de la police étaient habilités à se servir de données téléphoniques et informatiques. Le hasard fit qu’une semaine après sa mise en application, la France était touchée par les attentats de janvier 2015. Échec ou hasard dramatique, cette loi sur la programmation militaire semble insuffisante aujourd’hui, d’où sa réactualisation en mars dernier grâce à un consensus entre la droite et la gauche.
Jusqu’où renforcer la sécurité ? Pour répondre à cela, le gouvernement a saisi la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), instance garante de nos libertés fondamentales, et celle-ci a émis des réserves sur les intentions du gouvernement, s’inquiétant de la préservation de nos droits. Comment expliquer à l’opinion publique que l’Etat français peut accéder à ses données ? Tous les Français sont-ils visés ? Manuel Valls affirme qu’il n’y a “pas de surveillance généralisée des citoyens”, pourtant le texte prévoit bien la pose de dispositifs semblables à des “boîtes noires” installés chez les internautes. De plus, seules les adresses IP et les provenances de messages suspects seraient visées, le contenu des messages non. Ces données seraient dans un premier temps analysées anonymement et dans le cas où un risque serait avéré, l’anonymat serait levé. Dans le cas contraire, les informations personnelles ne seraient pas enregistrées. Il n’y aurait violation de la vie privée uniquement lors de la révélation d’une menace terroriste.
Comment détecter un message suspect sans en inspecter le contenu ? Le risque d’une telle manoeuvre serait qu’en étant tous surveillés, nous deviendrions tous suspects. La CNIL pointe surtout le fait que, dorénavant, les autorités accéderons à des informations en temps réel. Le texte de loi transforme l’accès à un stock d’informations en un flux. On passe, en définitive, d’un contrôle d’archives à un contrôle en direct des consultations sur le net, une forme de mise sur écoute. Le but est alors de détecter de manière instantanée les projets terroristes. Les services de renseignements se doteraient ainsi d’outils spéciaux jusqu’alors réservés au domaine judiciaire, à savoir la pose de micro, la surveillance informatique et la géolocalisation d’individus et d’objets. Ce contrôle du futur, cette obsession de l’anticipation questionne des professions. Parmi elles les magistrats, journalistes qui ne sont pas protégés par la nouvelle loi et qui, dans le cadre de leurs métiers, se voient relayer des informations relatives au terrorisme sans pour autant en faire l’apologie.
De telles mesures nécessitent un nouveau personnel, formé, et encadré par la Commission Nationale de Contrôle des Technologies du Renseignement (CNCTR) remplaçant l’actuelle et obsolète Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité (CNCIS). Cette autorité administrative et indépendante sera en charge d’agir en amont, pendant et après le recours à ces nouvelles techniques de surveillance. En cas d’abus, la commission sera apte à saisir le Conseil d’Etat.
Le texte est actuellement en discussion et devra être débattu en séance à l’Assemblée Nationale mi-avril après examen en Commission des Lois le 1er avril. Pour l’heure, même si un accord entre la gauche et la droite semble être trouvé, les réactions ailleurs sont vives et nombreuses, à commencer par le CNIL comme nous l’avons précédemment évoqué, mais aussi le Conseil National du Numérique (CNNum, organe consultatif indépendant et d’intérêt public), les fournisseurs d’accès à Internet, le syndicat de la magistrature, l’Ordre des avocats de Paris, le juge anti-terroriste Marc Trévidic qui a pris notamment en charge le dossier sur l’attentat à Karachi en 2002, Quadrature du Net (association de défense des libertés sur Internet) ou encore Amnesty International. Ils sont nombreux et dénoncent tous un accroissement inquiétant de la surveillance, et ainsi un affaiblissement de l’Etat de droit.