Il faisait beau. Le soleil était bas. La mer grognait et le sable se taisait. J’étais là. Assis. Presque aussi silencieux que les cendres des roches mortes. Ce silence minéral en devenait presque gênant. Je décide donc de le faire parler : j’empoigne fermement un morceau de cette robe blonde des plages et la laisse s’effiler au vent afin que chacune des graines aillent rejoindre singulièrement les autres pour s’y confondre dans un doux fredonnement. De ce sable a germé un bracelet d’or.
Il reste là. Se balançant entre mon petit doigt et mon annulaire, hésitant entre retomber dans l’oubli ou remonter sur mon poignet. Il se balance. Il s’immobilise et reste. Je l’enfile. La finesse et la délicatesse féminine de ce bracelet laisse paraître mon poignet énorme. Quelle tristesse quand la beauté d’un objet me rappelle la beauté que je n’ai pas.
Pourtant il me laisse croire que je suis devenue. Regardant le bijou je vois Camille gravé dessus. Camille est un prénom de garçon aussi. Mais je le sais cette Camille est une fille. Une femme !
Je m’appelle Camille.
Je cherche. Je recherche la femme que je vais être. Comme toutes je serai belle. Il n’y a rien de plus beau que d’être femme. Contrairement aux hommes elles sont libres. Les hommes se suivent, se ressemblent. Les femmes sont singulières et c’est pourquoi elles sont toutes belles. Les hommes sont les grains de sable. La femme est le coquillage sur la plage, leur seule présence est le charme du lieu. Elle envahit, elle brille, elle rayonne, elle cascade, elle trouble, elle joue, elle est là pour ce qu’elle est. Elle affirme la grâce. Elle est l’or de l’humanité. La donneuse de vie. Elle contrôle le charnel, donc l’homme. Malicieuse, parfois douce. Fine de peau. Explosive de regard. La femme est une reine, l’homme est un valet. Je suis Camille, je vais m’affirmer, exploser, envahir.
J’ai les cheveux courts. Il y a des femmes qui ont les cheveux courts. D’ailleurs ce sont elles qui ont les plus beaux visages. Comme une face inconnue de la Lune. Ou d’une étoile. Leurs visages dévorent ceux qu’elles regardent. Elles intimident. Je brosse donc mes cheveux, je les soigne. Je m’en occupe comme la violoniste cajole son violon. Les cheveux sont l’instrument d’une musique silencieuse. Chaque mouvement de tête est une note. Rabattre le côté droit d’une mèche derrière l’oreille est une berceuse qui endort n’importe quel homme. Une promenade en plein vent sculpte dans la chevelure d’une femme une symphonie. Quand elle sort du lit c’est la Décadanse de Gainsbourg. Depuis que je suis Camille, j’aime mes cheveux et les faire chanter. Je t’aime moi non plus ou dévaste-moi.
J’ai les yeux bleus.
Une femme est le vin. Fruitées, le goût naturel de la sainteté, le goût pur de l’amour doux et de l’étreinte passionnée, elles jouissent parce qu’elles aiment le goût du fruit et de la jeunesse. Capiteuses, toujours élégantes, elles se montrent sans se dévoiler, elles attirent, l’homme regarde mais ne touche pas, ce sont elles qui font l’amour : sensualité et raffinement, poitrine masquée. Viriles, elles se montrent braques, puissantes, ont le contrôle, elles sont dans la maîtrise des choses, de leurs vies et de ceux qui les entourent, elles écrasent ivres d’amour. Chaudes, charnel amour griffant, le hurlement de la chair sauvage et tellement belles ! Charnues. Equilibrées. Loyales. Suaves. Pleines. Faites. Rondes. Mâches. Canailles. Distinguées. Friandes …
Mon rouge à lèvres sera bordeaux.
Mon cou est veineux, mon cou est moche, mon cou est nu.
Je n’ai pas de sein. Ni coton, ni orange, ni pamplemousse. Je mets une robe bleue. Mi-cuisse. Taillée de manière à ce que l’absence soit comblée. Un bleu griffé de noir et aux gouttes d’orange, un bleu taquin qui tâte le violet sans jamais y entrer et imite le marine sans l’être.
Je lime et polis mes ongles. Je les laisse dépasser légèrement de mes doigts, quand ils sont longs, vraiment, je trouve ça sorcière, effrayant même. Je les voile d’un vernis bordeaux.
J’aime boire. J’aime l’ivresse. J’aime le vin.
Il enivre. Délit langues et cœurs. Parfois la ceinture se déboucle sous son ivresse. Le bordeaux rend joyeux. Il se partage, se déguste, s’apprécie. Il est précieux, fait jouir le cristal en un cri aigu. Les femmes sont le bordeaux et le cristal. Seules les femmes savent jouir avec beauté et justesse. Poésie.
Les hommes aboient.
Sans précipice, chose phallique, j’ai le vertige.
J’enveloppe mes jambes d’un collant noir. Porter un collant, quelle merveilleuse sensation ! Je me sens utérine dans un collant. Je me sens belle, femme. Je veux plaire. Je dois avoir des collants.
J’ai des collants. Je me masturbe sous mes collants, même si j’ai une bite et rien à ouvrir, j’aime me masturber sous mes collants.
Je glisse à mes pieds des chaussures plus belles que toutes dans un 36. Petits talons, élégantes, noires.
Je me sens Camille.
Je suis Camille.