ART

Entretien avec Laureline Galliot : la couleur en trois dimensions

Laureline Galliot, Designer Industriel diplômée de l’ENSCI, s’interroge sur les liens qui rapprochent le dessin, la peinture et la sculpture avec le design.  Elle tente d’appliquer le dessin à tous les domaines, que ce soit en deux ou trois dimensions afin de définir un langage qui lui corresponde. Nous nous sommes entretenus avec elle afin d’en apprendre un peu plus sur sa pratique.

Comment l’univers artistique s’est-il ouvert à vous ?

Quand j’étais petite j’avais beaucoup de mal à parler, sans toutefois être autiste (rires). J’avais du mal à m’exprimer verbalement, j’ai trouvé une alternative en arts plastiques et en danse. Je sculptais des visages avec beaucoup de détails et mes parents ont perçu qu’il y avait peut-être un potentiel dans cette direction et m’ont aidé à ne pas être formatée par un système scolaire.

Vous avez du mal à vous définir comme « designer ». Comment préférez-vous définir votre pratique ?

Je suis dessinatrice avant tout. L’idée et l’imaginaire se transposent par le dessin : c’est en quelque sorte le dessin qui traduit le dessein. Qu’on me définisse comme dessinateur, comme sculpteur, ça me semble plus proche de ce que je suis, que « designer ».

Quel est la fonction de l’objet dans vos recherches ?

Dans le design, l’être humain a quatre membres, un cerveau et deux yeux – l’usage est important, central. Ce n’est pas quelque chose que je mets de côté. C’est important pour moi, ça me donne des contraintes qui m’aident à créer.

Pour créer, disons que j’aime ressentir les choses, étudier ma propre utilisation d’un objet si je dois travailler dessus. Je suis quelqu’un d’assez centré sur moi-même, ça passe notamment par les autoportraits, et pour autant c’est toujours une expérience, j’ai envie de dire « je est un autre ». Par exemple, si je dois dessiner un stylo bille, alors pendant quinze jours je vais écrire avec un stylo bille pour en cerner tous mes usages, toutes les habitudes que j’ai avec et quelles sont les dérives des usages. Bien sûr, j’étudie aussi les comportements des autres. Je ne passe pas par toutes ces études, ces chiffres et statistiques faites par des entreprises extérieures comme certains font. Ça n’a pas de sens pour moi tant que ce n’est pas quelque chose que j’ai vécu.

Je vais étudier les comportements par le dessin et l’observation, je vais analyser par le dessin et noter beaucoup de choses, tout le temps, ce que j’entends à la terrasse d’un café par exemple. Ces observations me donnent l’impression que tout est normé, qu’il y a des standards pour tout : des standards d’émotions, des standards de vie.

Qu’est-ce qui vous inspire ? Comment produisez-vous les objets ?

J’ai recours à la même méthodologie, quel que soit l’objet final qu’on me demande : je me nourris de mon ressenti, de l’histoire du lieu où la pièce sera exposée par exemple. Si c’est un objet qu’on me demande, je me nourris de la marque pour la faire évoluer dans son contexte. Tout ce que je fais est ancré dans un cadre qui me fournit les contraintes nécessaires pour savoir où je vais. C’est comme définir un décor pour raconter une histoire.

En ce qui concerne les matériaux, comment les choisissez-vous ?

Je fais partie du milieu, j’ai donc accès à des matériauthèques, je reçois des newsletters m’informant sur les nouveaux matériaux qui sortent, je ne suis pas du tout coupée de tout ça. Pour autant, c’est l’intuition qui me guide, pas forcément les matériaux innovants. Je ne vais pas sauter sur le nouveau matériau dès qu’on nous le présente. Quelque part, je doute toujours et je vais chercher à comprendre, je vais me demander, pourquoi est-ce qu’il est innovant ? En quoi est-il génial ? Je vais davantage avoir d’affinités avec de vieux objets trouvés en brocante et préférer les processus industriels abandonnés, notamment dans l’industrie du plastique. Le rapport hier/aujourd’hui m’intéresse. Qu’est ce qui fait qu’une industrie perdure, qu’une autre ne survit pas, pourquoi ça n’a pas marché ?

En création, vous préférez ne pas trop anticiper et gérer les choses au jour le jour, je crois. Pourquoi cela ?

Lorsque je créé, je me projette mais c’est l’histoire qui me donne la motivation. Je connais la différence entre ce que je vise et le résultat que je peux obtenir. Se donner un objectif est une excuse pour se lancer dans le processus, une raison de se lever le matin. Si mon objectif est de changer le monde, bien sûr je n’y arriverai pas mais c’est tout ce que je peux faire avec l’idée de changer le monde qui m’importe. Je préfère ne pas être déçue en n’aboutissant pas au résultat escompté, et pour ça avancer à tâtons, au jour le jour. Quand on a une idée en tête, on ne peut pas y aboutir sans qu’elle soit modifiée en chemin. Je ne peux pas savoir à quoi je veux aboutir sans avoir préalablement cherché : on trouve en cherchant, plus qu’en projetant de trouver. Je crois qu’il faut laisser sa part d’intervention à la recherche, à la manipulation de la matière. Je crois que je suis consciente que mon cerveau est limité pour projeter. Je crois que la réponse se trouve par la pratique, par le contact manuel, plus que par la réflexion.

Merci beaucoup pour ces renseignements précieux, Laureline.

Pour aller plus loin, voici une vidéo que vous pouvez voir.

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