Imaginez une société qui interdit les chiens qui ne sont pas bruns. Imaginez un monde où les propriétaires de chats blancs sont des hors-la-loi. Où ceux qui ont possédé ces animaux un jour sont condamnés. Absurde, me répondez-vous. Inimaginable. Pourtant, à peu de choses près, de telles situations ont existé. Et s’il l’on n’y prend pas garde, cela risque de recommencer.
A travers une histoire en apparence simple, Matin Brun, une nouvelle écrite par Franck Pavloff, dresse le portrait de la progression insidieuse d’une société vers une dictature intolérante et discriminante. Suite à la montée de l’« Etat brun », les animaux qui ne sont pas bruns sont progressivement éliminés. La presse est muselée. Les libertés se réduisent. En tant que lecteur, on assiste, avec les deux protagonistes, à la montée d’un pouvoir totalitaire. Comme eux, on ne fait rien face à l’« Etat brun ». Jusqu’à ce que ça soit trop tard… Alors ces mots éclatent : « On aurait dû dire non. Résister davantage. » Matin Brun peut être interprété comme une métaphore de l’arrivée au pouvoir des nazis. Comme une critique des massacres ethniques dont regorge l’actualité. La description de la lente agonie d’une société libre en crise. Peu importe. Le message est clair : la dictature peut émerger à tout moment. C’est vrai, mettre son chien à la fourrière parce qu’il est blanc, c’est triste, mais après tout, est-ce si important ? Porter une étoile jaune sur son veston parce que l’on est de confession juive, est-ce si grave ? L’Histoire nous a montré que ça l’est. Toute transgression des Droits de l’Homme peut se révéler cruciale. Un rien peut être le signe d’une dégradation de grande ampleur. Être un pas de plus vers la servitude.
Matin Brun est un livre qui s’inspire de l’Histoire, mais qui a aussi un impact très actuel. Il nous demande, à nous, hommes et femmes du XXIème siècle, de ne pas répéter les mêmes erreurs que par le passé. Il nous incite à esquiver les pièges d’une dictature qui nous menace sans cesse. Car la démocratie est un régime politique qui risque sans cesse l’autodestruction par la liberté qu’il permet. Qui nous empêche de voter pour un gouvernement fasciste et autoritaire ? Après tout, nous avons la liberté de choisir un tyran pour chef d’Etat. Ou même, et cela revient au même, de nous désintéresser complètement des lois qui régiront nos vies. Les livres d’Histoire regorgent de dictateurs élus par un peuple consentant et d’abandon volontaire de la souveraineté nationale. D’ailleurs la légitimité d’un tyran au sein d’une démocratie est difficilement contestable. Tocqueville décrit très bien cela. Dans De la démocratie en Amérique, il écrit : « Lorsque le souverain est électif ou surveillé de près par une législature réellement élective et indépendante, l’oppression qu’il fait subir aux individus est quelquefois plus grande ; mais elle est toujours moins dégradante parce que chaque citoyen, alors qu’on le gêne et qu’on le réduit à l’impuissance, peut encore se figurer qu’en obéissant il ne se soumet qu’à lui-même, et que c’est à l’une de ses volontés qu’il sacrifie toutes les autres. » Il convient de garder cela en tête.
Alors bien sûr, on connait la chanson. On sait que la tyrannie n’est pas le plus épanouissant des régimes politiques. Que l’oppression n’est pas vraiment un idéal de vie. On connaît tous cette fameuse phrase de Churchill : « La démocratie est le pire système de gouvernement, à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’Histoire. » On est au courant que « tous les Hommes naissent libres et égaux en droit ». Et pourtant…
En France, les élections européennes de 2014 ont été un véritable succès pour le Front National, qui a récolté 25 % des suffrages. En Allemagne, le groupe anti-Islam PEGIDA a récemment organisé des manifestations dans tous le pays. En Grèce, le parti d’extrême-droite Aube dorée bénéficie de nombreux soutiens. Bref, les extrêmes fleurissent en Europe.
Matin Brun est donc un livre à lire absolument ! Pourquoi ? Parce qu’il nous rappelle que rien n’est définitivement acquis. Onze petites pages qui évoquent les risques de la passivité politique. Quelques feuilles de papier qui nous incitent à la vigilance. Une histoire qui redonne le goût de la liberté. Car, comme l’affirme Tocqueville, « nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies : ils sentent le besoin d’être conduits et l’envie de rester libres. » Et il ne faut pas oublier que la différence entre « être conduit » et « être opprimé » peut parfois se révéler assez mince. Oui, la liberté effraie parce qu’elle nous rend responsables de nos actions. Mais avouez-le, c’est si bon d’être autonome ! Après tout, malgré les nombreux problèmes de l’Hexagone, les Français ont des droits que beaucoup souhaiteraient acquérir. Aujourd’hui, nous, les jeunes (comme les moins jeunes), devons nous employer à réduire les inégalités, et nous fixer un objectif : le progrès. Mais ce progrès n’est possible que si l’on conserve les droits que nous avons déjà.
Matin Brun ne nous aidera sans doute pas à voir les signes avant-coureurs d’un régime autoritaire. Comment distinguer une mesure décisive d’un simple décret sans importance ? Comment ne pas verser dans la paranoïa ? L’avenir reste l’avenir. Insondable. Trouble. Changeant. Pourtant, je vous recommande la lecture de Matin Brun. Exercer son esprit critique en y associant le plaisir de la lecture ne peut pas faire de mal. Et qui sait, peut-être pourrons-nous préserver nos droits, voire même avancer vers un monde (au moins un tout petit peu) meilleur ?