Lundi 9 février, des combats ont éclaté dans la région de Kokang, dans l’Etat Shan, en Birmanie, dans une zone frontalière de la Chine riche en jade. Le bilan est lourd : 47 soldats tués, 73 blessés, et des véhicules détruits comme l’a indiqué le journal Global New Light of Myanmar. Ces affrontements ne sont pas un cas à part entière, en effet ils se multiplient depuis le 9 février, et plus généralement depuis ces derniers mois, réveillant un vieux conflit en sommeil depuis près de six ans.
Un pays mal connu au passé – et présent – houleux.
La Birmanie, ou Myanmar, est un pays peu connu. Indépendant du Royaume-Uni depuis le 4 janvier 1948, il se situe en Asie du Sud-Est continentale et partage ses frontières avec le Bangladesh, la Chine, l’Inde, le Laos et la Thaïlande.
La Birmanie est un pays au régime autoritaire. Elle a été sous dictature militaire marxiste après un coup d’Etat en 1962, dirigée par Ne Win, qui a occupé les postes de premier ministre, chef de l’Etat, et chef du parti unique de l’époque, le Parti du programme socialiste birman. Il a démissionné en 1988, ouvrant la porte à une prise de pouvoir par une junte militaire, le Conseil d’État pour la Restauration de la Loi et de l’Ordre, qui a pris en 1997 le nom de Conseil d’État pour la Paix et le Développement. Ce dernier a laissé la place à un pouvoir civil dirigé par l’un de ses anciens membres en 2011. « Pouvoir civil » en théorie seulement ; en effet, l’autorité militaire reste prépondérante dans les faits. Ce pouvoir quasi civil avait promis de mettre fin aux conflits internes du pays entre le pouvoir central et plusieurs des nombreuses minorités ethniques du pays. Pourtant, l’année de son accession au gouvernement, le cessez-le-feu qui tenait depuis 17 ans dans le pays s’est rompu.
Les organisations internationales des Droits de l’Homme classent la Birmanie parmi les pires pays du monde en matière de libertés publiques : la liberté de la presse et les droits de l’homme n’existent pas, le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant de l’exécutif et les partis d’opposition sont interdits. Selon l’indice de corruption 2014 de Transparency International, la Birmanie est classée 156e sur 175.
Aung San Suu Kyi, le “Papillon de fer” birman
Aung San Suu Kyi est une des grandes figures politiques birmanes. Elle mène le parti d’opposition, nommé la Ligue nationale pour la démocratie (NLD). Ce parti a remporté les élections législatives en mai 1990 avec plus de 80 % de voix en sa faveur. Cependant, la junte militaire, qui ne s’attendait pas à un tel score et qui utilisait les élections afin de légitimer son pouvoir a invalidé leurs résultats.
Être leader du parti d’opposition dans un pays tel que la Birmanie est dangereux. Cependant, la position d’Aung San Suu Kyi joue en sa faveur et oblige la junte à adopter une position ambiguë envers elle. En effet, elle est tout d’abord très populaire, surtout depuis la remise de son prix Nobel de la paix en 1991. De plus, elle est la fille du héros national Aung San, lui procurant une certaine protection. Face à cette situation délicate, la junte l’a placée à plusieurs reprises en résidence surveillée.
Une multiplication des émeutes inquiétante qui met en danger les civils
Des négociations relatives à un accord de cessez-le feu entre le pouvoir birman et les groupes armés de minorités ethniques ont eu lieu en septembre dernier, mais ont échoué. Les rébellions sont un défi majeur pour le gouvernement. Après son accession au pouvoir en 2011, des cessez-le feu ont été mis en place avec la plupart des groupes. Cependant, l’arrivée d’élections législatives fin 2015 a brouillé le tableau. Les espoirs de paix nationale se sont heurtés à la méfiance et à la poursuite des affrontements dans certaines régions du pays.
Quatorze des seize principaux groupes rebelles ont conclu une trêve. Mais elle est plus difficile à obtenir avec la KIA et l’Armée nationale de libération Ta’ang (Etat Shan). Le pays souffre de la multiplication des combats, notamment les civils, que l’ONU a appelé à protéger. Près de 100 000 personnes ont déjà fui le pays, vers la Chine.
Une rébellion d’une autre forme : les revendications étudiantes
En plus des conflits avec les groupes armés, le pays fait depuis peu face à des manifestations étudiantes. Ce mardi 3 mars, la police birmane a encerclé dans l’enceinte du monastère d’Aung Myae Baikman dans le but d’y bloquer quelques 300 étudiants qui avaient commencé une marche de 600 kilomètres entre les deux plus grandes villes du pays, de Mandalay jusqu’à Rangoun, afin de protester contre le gouvernement et de demander la révision d’une réforme de l’éducation. Ils critiquent la centralisation du système éducatif et souhaitent la création de syndicats ainsi qu’un enseignement dans les langues des minorités. Bon nombre de ces militants arborent des bandanas ornés d’un paon, hommage à un mouvement étudiant datant de 1988 et qui fut violemment réprimé.
Des élections municipales…
En décembre dernier, plus exactement le 27, des élections municipales ont eu lieu en Birmanie. Les premières depuis 60 ans. Une avancée démocratique ? Pas vraiment… En réalité, les modalités du scrutin étaient si particulières – comme le fait qu’une seule personne par foyer pouvait voter – que seules 400 000 personnes sur les 5 millions d’habitants de la capitale économique, Rangoun, ont pu se rendre aux urnes.
Du côté des candidats, les clauses étaient strictes aussi. Des conditions d’âge étaient imposées, de même que l’interdiction d’être affilié à un parti politique. Ainsi, un peu moins de 300 candidats étaient en compétition pour les 115 sièges du Comité de développement de la ville de Rangoun (YCDC). Il est à noter également que les postes de grande importance n’ont pas été soumis aux urnes : ils ont ensuite été attribués par nomination.
Le 30 décembre, Htay Aung (district est), Khin Hlaing (district ouest), Aung Min (district nord) et Khin Maung Tint (district sud) ont été élus au YCDC. Ce dernier n’avait pas été renouvelé au suffrage populaire depuis 1949, cependant, cet outcome peut être questionné puisque le taux de participation n’a été que de 26 %… La population est en effet détachée de la politique et de toute idée de participer à la gouvernance de la Birmanie puisqu’elle s’en est vue privée depuis des décennies. De plus, la campagne a été quasi inexistante, rendue interdite par le pouvoir en place afin de ne pas dénaturer la ville, mais aussi car ce dernier n’a pas tellement l’habitude d’entrer en compétition pour défendre ses idées.
D’autres élections, bien plus importantes sont en préparation cependant. Des élections générales, fin 2015. Que faut-il en attendre ?
… Aux élections générales.
Il faut savoir tout d’abord que les dernières élections générales – en 2010 – avaient été entachées : accusations de fraude, absence du parti d’opposition du à son boycott… Des élections – partielles – ont également eu lieu en 2012 dans certaines circonscriptions, et ont constitué un pas en avant : davantage de libertés ont permis au parti d’Aung San Suu Kyi d’entrer au Parlement, bien qu’il soit le parti minoritaire.
Un espoir pour les élections de 2015 ? Oui et non. En effet, son parti a des chances de remporter le scrutin, cependant le « Papillon de fer » comme elle est appelée, ne pourra pas participer aux élections de novembre à cause de l’article constitutionnel 59F de la Loi fondamentale du pays. Cet article date de l’époque de la junte et semble parfaitement taillé pour elle. Il empêche à un impétrant de se présenter à la présidence si ses enfants sont de nationalité étrangère. Or la Dame de Rangoun est mariée à un britannique et ses enfants sont britanniques. Cet article a suscité bien des réactions à l’étranger, et notamment celle de Barack Obama, qui a déclaré : « Je ne comprends pas qu’une disposition empêche quelqu’un de devenir président en raison de l’identité de ses enfants. Je trouve que cela n’a pas vraiment de sens. » « D’un point de vue démocratique, il n’est pas juste que la discrimination s’exerce contre une personne en particulier », a surenchéri Mme Suu Kyi.
Malgré le combat qui est mené pour faire réviser cet article et malgré la pétition nationale lancée, qui a recueillie près de 5 millions de signatures, le timing sera trop serré pour qu’Aung Sun Suu Kyi puisse être candidate. Le président de la chambre basse, Shwe Mann (ex-numéro 3 de la junte), a estimé « impossible de changer » le texte d’ici là.
L’éléphant blanc “magique” de la Birmanie, porteur de bonne nouvelle ?
Un éléphant blanc – en réalité, de couleur plutôt rose -, espèce très rare, a été découvert dans une réserve forestière dans la région du delta d’Irrawaddy de Pathein (à l’ouest de Rangoun). Il s’agit d’une femelle d’environ sept ans.
Pays à majorité bouddhiste, cet animal a toujours été prisé, depuis les anciens rois et dirigeants. Il est symbole de souveraineté et de chance, en particulier de chance politique selon les superstitions birmanes et leur découverte est généralement rendue publique à des moments historiques birmans cruciaux.
En 2010, la découverte d’un éléphant blanc avait été interprétée comme le symbole du caractère démocratique des élections législatives qui allaient avoir lieu. Cependant, de nombreux cas de fraude ont été relevés et le parti de l’opposition a boycotté les élections. Espérons que cet éléphant apportera de meilleures nouvelles pour les élections de 2015…