ART

Quand la frontière entre peau et mur ne se fait plus

La pratique artistique a de tout temps été évolutive. Souvent encadrée par des règles, elle n’a pu se construire qu’en les brisant, en traversant les limites dictées, allant toujours plus loin dans la représentation, le beau, le laid, la déconstruction … Loin dans sa forme, mais aussi loin dans son support. Minéraux, bois, toile, instruments, appareils, tant de manière de s’exprimer et déjà tant de possibilités. Mais à ces dernières se rajoutent depuis quelques décennies les murs, les lieux abandonnés ou les objets, en plus du design. La question à laquelle toutes ces constatations ramènent inlassablement est : jusqu’où peut aller l’Art, jusqu’où peut-il s’exposer ou s’observer ?

Si l’on en croit l’engouement pour le tatouage ou le body painting, la peau est devenue un support à part entière. Le corps n’est plus seulement un modèle à représenter mais un modèle à occuper. Une surface comme une autre aux multiples possibilités. Il n’est pas récent que la peau soit marquée, mais qu’elle soit autant stylisée l’est. Le tatouage perd peu à peu de son côté sulfureux, anticonformiste, pour devenir une sorte de norme. Tout dépend du milieu dans lequel on vit ou travaille. Le tracé n’a plus à être symbolique et peut être entièrement voué à l’esthétique. Comme toute pratique sans âge, son utilisation ne se fait plus seulement par tradition, ou par contrainte (esclaves dans la Grèce antique entre autres), mais par choix et désir personnel. De nombreux artistes l’ont compris et utilisent ces nouvelles opportunités. SupaKitch est l’un d’entre eux.

Musicoq - supakitch.com

Musicoq – supakitch.com

Street Artist reconnu, qui sévit depuis les années 1990, mais aussi tatoueur émérite se décrivant lui même comme un “compositeur de mélodies graphiques”, SupaKitch explore un ensemble de possibilités. Un style à la beauté suggestive, à l’esthétique travaillée, aux œuvres complexes et magistrales. Un univers tel un bestiaire aux détails multiples, qui gardent toute leur précision entre le derme et l’épiderme. Murs et enveloppes charnelles semblent sous ses doigts être un même terrain de jeu dont on ne reconnaîtrait plus la frontière. Présent dans un collectif d’artistes tatoueurs (Bleu Noir), il n’arrête pas pour autant les solo shows. Il était présent du 27 novembre au 20 décembre dernier à Zurich à la galerie Wall Ride. Adepte de collaborations, il était aussi présent lors du Converse Clash Wall (printemps 2014) au sein duquel il avait réalisé avec AlëxOne une œuvre complète au bord du Canal de l’Ourcq, en habitant entièrement le Pavillon des Canaux dans le 19ème arrondissement de Paris.

SupaKitch via http://www.supakitch.com/portfolio/lucy/

Supakitch.com

Les créatures poétiques de SupaKitch peuplent les demeures comme les objets. Les projets fleurissent pour l’artiste qui a publié en octobre dernier un livre destiné aux enfants, le Black Color Book, en association avec Koralie, sa compagne elle aussi artiste de rue. Une façon ludique de se confronter à leur vision.
Sur une bonne lancée, SupaKitch est l’exemple parfait montrant que ses Supanimals sont prêts à coloniser chaque espace. Même au travers de la vidéo, qu’il a utilisé pour le projet Endorphin en compagnie de Damien Elroy. Au cours d’une série de vidéos, il recouvre de ses œuvres Angie Jenkins, dans un lieu toujours différent.

Tilt, 2013, Toulouse via notedelouison.wordpress.com

Tilt, 2013, Toulouse via notedelouison.wordpress.com

Dans un autre style, Tilt illustre cette ambivalence de surface. Comme SupaKitch, la rue puis l’humain. Débutant le graf’ en 1988, ses projets se montent et s’affinent avec les années. À son actif d’innombrables pays, expositions, livres, même une chambre d’hôtel, la Panic Room à l’hôtel du Vieux Panier de Marseille, mais surtout un projet qui nous amène à en parler. Le “graffiti fetishist” auto-proclamé (voir la bio de sa page) ne se contente pas de la rue, ou de recouvrir de ses lettres un corps. Sa pratique traverse ces sections. Avec ses Bubble Girls, deux possibilités existent. Soit il les photographie et graf’ leur nom sur un bout de mur, de bitume ou de tôle, soit il dessine sur leur épiderme, photographie l’œuvre et va là aussi écrire le nom de ses modèles en bubble letters dans la rue. C’est d’ailleurs le seul moment où ce n’est pas son nom que l’on peut voir, mais celui d’une autre.

BubbleLove - graffitilt.blogspot.com

BubbleLove – graffitilt.blogspot.com

Un monde s’étend entre les deux artistes. Deux conceptions de la rue, deux conceptions de la peau, et pourtant un lien, celui de la frontière franchie par les deux.

SupaKitch :  Site Internet / Instagram / Facebook
Tilt : Site Internet / Facebook / Blog

En amour avec la diversité artistique, immergée dans les images et les sonorités, en quête d'une fameuse culture hybride, à la croisée des idées. Sur la route et sur les rails, entre la France et les festivals.

You may also like

More in ART