SOCIÉTÉ

ZAD : extension du domaine de la lutte

En 2014, un sigle est revenu sans cesse pour évoquer les mobilisations sociales : « ZAD », pour « Zone A Défendre ». Luttant aux quatre coins de la France contre de grands projets d’aménagement du territoire, ces espaces de lutte ont polarisé l’attention médiatique tout au long de l’année. Et 2015 ne risque pas de voir ces mobilisations citoyennes faiblir.

ZAD : c’est depuis novembre une marque déposée. Pour éviter qu’une utilisation commerciale soit faite de ce nouveau terme apparu dans l’actualité de manière récurrente. ZAD, pour Zone A Défendre : le mouvement a débuté en 2012 par une mobilisation contre le projet de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui a pour but de remplacer l’existant, dont la capacité d’accueil de voyageurs est jugé trop faible.

Ce lieu est devenu le symbole d’un mouvement qui a vite fait des petits, pour s’opposer à ce que les zadistes nomment « les grands projets inutiles ». Depuis, d’autres lieux ont vu s’implanter cette forme inédite de lutte : Sivens dans le Tarn, dernièrement Sainte-Colombe-en-Bruilhois (Lot-et-Garonne) contre la construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse. Parfois, le projet est passé outre la mobilisation : c’est le cas du chantier du futur stade du club de football de l’Olympique Lyonnais, situé en proche banlieue lyonnaise, à Décines.

Des revendications multiples

Malgré les apparences, les revendications portées par les zadistes ne sont pas simplement environnementales. Ils souhaitent aussi impulser un sursaut démocratique, montrant que les décisions des élus peuvent être contestées. Leurs actions prêtent dès lors le flanc à des accusations de prise en otages, s’opposant physiquement à des décisions d’élus à décider des projets d’aménagement du territoire. Un rejet du processus démocratique qui nourrit des tensions.

Ainsi, sur le site du barrage de Sivens, projet pour le moment stoppé suite au décès du militant Rémi Fraisse au cours d’affrontements policiers, les pro-barrage, emmenés par les syndicalistes de la FNSEA, assurent le spectacle. Ainsi, le 18 décembre dernier, une cinquantaine d’agriculteurs sont venus selon leurs propres mots « passer un coucou franc  » aux zadistes… Nom de l’opération : « Manche de pioche ». Autant dire que les 250 membres des forces de l’ordre mobilisés n’étaient sûrement pas de trop pour éviter une belle empoignade.

Même chose à Roybon dans l’Isère, où la filiale du groupe Pierre & Vacances, Center Parc, veut installer un nouveau domaine de loisirs. Dans ce petit village de 1 200 habitants, les pro et les anti se répondent à coups de manifestations plus imposantes les unes que les autres. Les locaux défendent la croissance et l’emploi pour une région où le chômage est important, tandis que les zadistes plaident pour la défense des 200 hectares de zones humides et de forêts à défricher. La contestation a pour le moment remporté la première manche, puisque le tribunal administratif de Grenoble a suspendu l’application de l’arrêté autorisant le début des travaux de défrichement, ayant un doute « quant à la suffisance des mesures prévues pour compenser la destruction de zones humides ».

Les ZAD sont par ailleurs des lieux d’expérimentations de nouveaux modes de vie, en rupture avec la société capitaliste. Il s’agit de préfigurer d’autres modes de vie durables et décarbonnés, qui ne mettent pas en péril les ressources naturelles. L’objectif, notamment dans la ZAD la plus structurée qu’est Notre-Dame-des-Landes, est d’assurer une forme d’autosuffisance alimentaire.

Un mouvement inédit

Les occupants de ces « Zones à Défendre » sont difficiles à saisir : il n’y a aucune unité dans les origines de ces militants. Anarchistes, décroissants, écologistes, utopistes, anti-capitalistes : il y a de tout ! Leur mode de fonctionnement est de toute façon horizontal, basé sur des temps d’échange importants pour définir les modalités de la lutte et de la vie quotidienne. Pour assurer leur communication, aucun porte-parole. Ces opposants d’un genre nouveau se mobilisent aussi de manière très diverse : certains sont implantés depuis des mois sur place, d’autres ne restent que le temps de leurs congés et sur leur temps libre, ou bien encore opèrent une convergence des luttes en se rendant d’une ZAD à une autre selon les besoins.

Ce qui est sûr, c’est que ce mouvement hétéroclite semble très difficilement récupérable par les partis politiques. En effet, la méfiance règne, même envers les partis de gauche. Méfiance qui s’étend aussi aux journalistes, accusés de caricaturer et diaboliser le mouvement. En tout les cas, cette indépendance rend le mouvement difficile à saisir et à contrôler, ce qui fait peur à la classe politique.

Deux mondes irréconciliables

C’est cette profonde coupure entre les institutions, le politique et ces zadistes qui nourrit le sentiment que le dialogue ne peut s’établir de manière concrète et passe forcément par l’affrontement. Ainsi, le Premier Ministre, Manuel Valls a affirmé courant décembre que le chantier de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes débuterait au second semestre 2015. Ce à quoi la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, a réagi en lançant un « bon courage » plein d’ironie au chef du gouvernement, elle qui n’est pas emballée par ces grands projets dont l’idée a émergé il y a plus de vingt ans. Les forces de l’ordre se sont en effet retirées de la ZAD, les militants sont maintenant organisés, en coordination avec les associations locales pour maintenir une résistance physique à ce grand projet. Plus de 200 comités locaux anti-aéroport se sont aussi constitués, venant apporter une force de mobilisation supplémentaire en cas de retour des pelleteuses.

Par ailleurs, en cette nouvelle année, les foyers de contestation ne devraient pas manquer. La fédération France Nature Environnement a récemment recensé près d’une centaine de projets nuisibles, «  aux coûts environnementaux largement sous-estimés, quand ils ne sont pas ignorés, et aux bénéfices économiques et sociaux sur-évalués ». Autant de ZAD potentielles à investir. Face à cela, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a résumé la doctrine des pouvoirs publics : « La République, ça signifie aussi que, lorsque le droit voté par le souverain et interprété par le juge permet des projets de développement de se mettre en œuvre, personne ne peut, en raison de l’endroit d’où il parle, parce qu’il s’estime avoir raison, imposer la violence à la République en contravention avec le droit. » Des positions en apparence irréconciliables…

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