SOCIÉTÉ

Rencontre avec Charline Vanhoenacker

Charline Vanhoenacker est la nouvelle voix de la tranche 17h/18h sur France Inter depuis la rentrée 2014, avec son camarade et compatriote Alex Vizorek. La journaliste belge, arrivée sur le vaisseau amiral de la radio de service public il y a deux années se fait remarquer par son tempérament irrévérencieux et sa liberté de ton. Dans un paysage radiophonique en complète révolution, elle assume sa présence deux fois par jour sur Inter et une émission hebdomadaire en Belgique, sur la RTBF, chaîne pour laquelle elle fut correspondante en France et délivra notamment une critique polémique de la relation entre journalistes et hommes politiques. Afin de décrypter le phénomène et de comprendre sa vision du journalisme, Maze l’a rencontrée.

Vous êtes sur France Inter depuis deux saisons, cette année on peut dire que vous êtes passée à l’échelle supérieure avec “Si tu écoutes, j’annule tout”, tous les jours entre 17h et 18h. Votre emploi du temps s’organise autour de deux temps sur Inter, le matin et l’après-midi, comment est-ce qu’on arrive à tout mener de front ?

En travaillant 16h par jour (rires). Quand vous êtes à deux horaires à la fois, qui sont en plus deux carrefours d’audience, deux horaires stratégiques en radio, vous consacrez toute votre semaine au travail et il n’y a aucune possibilité de faire autre chose et de s’amuser derrière.

Vous êtes satisfaite de votre premier trimestre avec Si tu écoutes ?

Oui, très satisfaite. On ne sait jamais comment ça va se passer quand on monte une nouvelle émission, tout part d’une idée qu’on jette sur le papier. Du papier à la réalité on ne sait jamais ce que ça peut donner. C’est une émission hybride, on s’empare de l’actualité avec dérision, on pratique la satire, c’était pas un horaire où il y avait de la satire sur l’actualité. Le mélange de cette satire de l’actualité avec deux chroniques, une musicale et une littéraire n’était pas évident non plus. Le fait que ça puisse prendre forme à l’antenne c’est déjà beaucoup du chemin qui est fait, et en plus comme les audiences sont en progression, alors là on est très satisfaits des trois premiers mois. Cela dit c’est toujours perfectible et quand on passera au trimestre suivant en Janvier on essaiera de perfectionner encore le conducteur.

L’émission parle d’actualité, vous en riez beaucoup, est-ce que c’est le meilleur moyen de parler de tous ces sujets ?

Je ne dirai pas que c’est le meilleur moyen d’en parler, ce serait une insulte à mon métier de journaliste. Je pense que le meilleur moyen de parler d’actualité c’est d’en parler de manière factuelle, une fois qu’on en a parlé, le meilleur moyen d’en parler c’est d’informer les gens de la meilleure façon possible. Maintenant, je dirai que ce qu’on pratique c’est une autre façon de parler d’actualité et dans cet aspect là c’est parce que ça permet de souligner des choses, ce qu’on ne peut pas dire dans le factuel, avec la satire on peut le faire et pousser certains aspects dans leurs derniers retranchements pour montrer le côté illogique ou absurde de certaines postures politiques.

Vous avez commencé par la presse écrite, vous faites de la radio, un peu de télévision en Belgique, est-ce que vous avez eu des propositions pour faire de la télévision en France, est-ce que vraiment vous souhaitez rester à la radio ?

J’ai régulièrement des propositions en France pour la télévision, mais je préfère me concentrer sur le média radio, qui me semble plus adapté à une liberté de ton, une liberté dans la satire et une forme de naturel.

Je vois beaucoup en lisant les interviews que vous avez déjà pu accorder, les remarques ou les questions centrées sur votre nationalité, est-ce qu’on ne tombe pas un peu dans la caricature en vous considérant comme “la belge de France Inter” ?

Je pense que c’est normal et que ça fait partie du jeu. Quand on doit faire un titre il est normal qu’on donne la caractéristique principale et dans “belge” il n’y a pas qu’une nationalité, je pense que maintenant les français ont compris que dans le mot “belge” il y avait une forme d’esprit, de manière de penser et de voir les choses. “Belge” recouvre une série de sens qui veulent dire “recul”, une forme d’absurde, d’humour, de non-formatage, donc je pense que maintenant c’est un mot qui recouvre beaucoup d’aspects que les français connaissent un peu mieux et donc ce qui est bien c’est que “belge” n’est plus réducteur, ça ne m’ennuie pas qu’il arrive en titre.

Justement, si on devait ici ensemble donner un titre à notre interview et vous décrire en deux mots, comment est-ce qu’on y arriverait ?

C’est à vous de faire le boulot (rires) ! C’est à vous de trouver un titre c’est pas à moi de vous trouver votre titre. Mon regard serait tronqué, je suis l’objet du truc donc forcément ça dévoie forcément le sens du titre. Si vous voulez que je donne un titre, je dirai “la fille la plus intelligente, brillante du monde intersidéral”.

Parfait, voilà ce sera publié comme ça ! Depuis que vous êtes journaliste, est-ce que vous avez vu des évolutions dans la manière de faire votre métier ?

L’évolution du métier a fait que je me suis orienté vers ça, vers la satire. Je dirai que ce que je fais c’est un peu dans l’esprit du “Canard Enchaîné” mais sans me donner les moyens de l’enquête sur le terrain, donc je dirai que si j’en suis là c’est sans doute une évolution du métier qui ne m’a pas plu. J’ai commencé au Soir en presse écrite, et puis à la RTBF, à la radio, on ne me donnait pas les moyens de faire mon boulot pleinement, je faisais du journalisme de synthèse. Surtout quand vous êtes correspondant, il y a énormément de sujets à traiter donc on ne pouvait pas s’investir sur un même sujet pendant longtemps, on survole beaucoup les choses. On ne se donne pas les moyens en temps et en finances pour enquêter et pour faire le métier dans le fond des choses. Je me suis dit à un moment, que faire trois sujets en même temps dans une journée en faisant juste de la synthèse, il y a un moment où ça ne m’intéressait plus et quitte à rester le cul sur une chaise autant traiter l’information avec de l’esprit, de la satire, et tenter d’en faire ressortir des choses qui vont à l’encontre de la niaiserie ambiante qu’on peut constater dans notre société actuelle.

Comment a commencé votre parcours ? Le journalisme c’est une vocation où est-ce que c’est arrivé après ?

Non, c’est une véritable vocation, j’ai découvert très tôt que c’est ce que je voulais faire et j’ai construit tout mon cursus universitaire dans ce but là, c’est quelque chose de très conscient et qui est né très tôt. J’ai découvert ma vocation très tôt, j’avais 14 ans et j’ai participé à un voyage avec la fondation Nicolas Hulot, on a fait une émission découverte, qui envoyait des jeunes à la découverte de la nature. Notre rôle au retour du voyage, c’était de médiatiser l’expérience, et donc au retour du voyage, en 1992, j’ai largement médiatisé mon expérience, j’ai écrit des articles dans des journaux, j’ai été invitée en radio et télévision. J’étais un peu ambassadrice de la fondation Nicolas Hulot qui en était à ses balbutiements, ça a été mon premier reportage, j’ai découvert que j’adorais transmettre.

Parce que faire du journalisme c’est véritablement transmettre quelque chose ?

C’est observer quelque chose, l’étudier et le rendre de la manière la plus digeste possible et si en plus il y a une dimension de sensibilisation à une cause, c’est encore mieux.

Vous avez donc été correspondante pour la RTBF, et vous êtes arrivée sur France Inter après un papier sur la collusion entre les journalistes et François Hollande dans la campagne de 2012 ?

Oui ça a été le déclencheur, à ce moment la porte s’est entre-ouverte. Après j’avais des choses à proposer, des choses à offrir et la porte s’est ouverte un peu plus. On a fini par me faire confiance et tout s’est ouvert complètement.

Justement, sur France Inter, est-ce que vous avez dans “Si tu écoutes, j’annule tout”, une émission, une ou un invité.e qui vous a particulièrement marqué ? Votre émission préférée ?

C’est pas évident parce qu’il y en a déjà eu beaucoup, mais pour moi l’invité idéal dans cette émission, et d’ailleurs on essaie de choisir les invités uniquement en fonction de ça, c’est déjà quelqu’un qui a un bagage, si il a pas un bagage il a un regard sur l’actualité, c’est pleinement un citoyen. C’est le citoyen qui est investi, intéressé par ce qu’il se passe autour de lui, un vrai regard, il est également aussi important d’avoir une forme de second degré, de pouvoir ironiser sur les choses et c’est justement ce regard ironique qui dans mes chroniques, dans l’émission ou chez les invités fait qu’on peut faire passer un message supplémentaire par rapport au factuel. C’est une forme de catharsis. Sous le factuel, il y a toute une couche de non-dits et nous on le dit grâce à l’humour, à l’ironie donc si l’invité peut avoir cet esprit là alors c’est formidable. Par exemple un type comme Guy Bedos c’était super parce qu’il a beaucoup d’humour, il est très engagé et en même temps il a un bagage politique et culturel assez énorme. Un mec comme Bruno Gaccio, on l’a choisi comme parrain de l’émission parce que c’est aussi un regard citoyen, politique, engagé, même si maintenant il est plus politique qu’humoriste, il est aussi dans le second degré et l’humour. L’humour est assez visionnaire, par exemple je reste fan des Guignols de l’Info parce que quand vous regardez une émission d’il y a dix ans, il y a toujours autant de force parce qu’il y a quelque chose d’exceptionnel, quand on s’intéresse à l’actu avec un autre regard que celui du journaliste il en sort des choses tout à fait intéressante.

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour l’année qui va venir sur France Inter ? Vous allez apporter des modifications à l’émission ?

On garde l’équipe, qui est très bien, on a la chance d’être partis sur de bonnes bases tout de suite, là c’est le cas parce que ça marche donc évidemment on garde nos chroniqueurs surtout que ça ne peut pas marcher parce que c’est naturel. On est tous issus de la matinale d’Inter : Clara Dupont-Monod, André Manoukian, Alex Vizorek … on s’est tous connus et fréquentés l’année dernière autour du 5/9 donc on s’est formés de manière assez naturelle. On espère pouvoir perfectionner la chose, poursuivre, mon objectif c’est de progresser un peu en audiences et de récupérer la place que mérite Inter à cette heure là.

Peut-être même dépasser les Grosses Têtes sur RTL ? 

(rires) Non, ça c’est pas possible, parce que c’est un bulldozer, c’est un monstre, et puis on est le service public. C’est une émission qui existe depuis des décennies, présentée par une méga-star, avec certaines facilités de gros humour, on ne peut pas lutter. Et puis ils font énormément de pub, on est pas destinés à être leaders, si on veut rester dans ce côté insolent, la position de challenger me va très très bien. On a quand même envie que ça marche et quand je dis challenger je veux dire numéro 2, pas numéro 3 (rires).

Co-fondateur, directeur de la publication de Maze.fr. Président d'Animafac, le réseau national des associations étudiantes. Je n'occupe plus de rôle opérationnel au sein de la rédaction de Maze.fr depuis septembre 2018.

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