CINÉMA

Qu’Allah bénisse la France d’Abd al Malik – Les mots en uppercut

La lumière du soleil n’entre pas, les néons la remplacent. Électrisant les peaux et l’ambiance de ce couloir oppressant, cette lumière est accompagnée d’un bruit sourd, d’une rumeur qui ne vient pas de loin. L’impatience du public est palpable. La musique se lance, les poings se serrent. C’est bientôt à eux, il faut s’échauffer les corps et les voix. Les voix ? Oui, dans Qu’Allah bénisse la France, on combat avec les mots, pas avec les poings.

Là où Régis, Samir et Mike vivent, les barreaux sont invisibles mais la prison bien réelle. Une prison sociale dans la banlieue de Strasbourg, où pauvreté et galère se transmettent presque de façon héréditaire.
Un truc les démange, un rêve leur tient la tête hors de l’eau : créer un groupe de rap. Ces fous du micro veulent briser ces barreaux à grands coups de tibias. Deal de shit et vols de sacs à main semblent la seule solution d’avoir un peu d’argent pour tenter de provoquer la chance. Ça devient inévitable, au risque de faire connaissance avec la vraie taule, l’officielle. Qu’Allah bénisse la France c’est un regard posé d’Abd Al Malik – une des plus grandes plumes du rap français –  sur sa vie où, entre coups de chance et coups de poing, la relation avec l’autre semble être un frein à l’ambition.

Ad Vitam - Droits Réservés

Ad Vitam – Droits Réservés

Filmer sa propre vie peut avoir l’effet d’un miroir-portrait où seul le visage serait visible. Mais Malik – à ne pas confondre avec Terrence Malick – ne tombe pas dans ce travers, brise le cadre pour en faire une galerie des glaces, épousant plus largement sa vie. Son reflet n’est pas exact non plus, il prête sa place et sa vie au brillantissime Marc Zinga. A la façon du film La Haine de Mathieu Kassovitz dont Malik s’inspire clairement, les reflets de sa vie sont en noir et blanc, les relations entre les personnages, violentes. L’autre devient un obstacle de plus à éviter, une difficulté à combattre. Dès l’ouverture du film, ils s’engueulent entre frangins. Dans les bars, ils s’amochent entre potes. Entre eux et tout le temps, ils élèvent la voix. Pour réussir, avancer seul semble être la solution. Et Régis fait des atterrissages violents dans la solitude. A l’image, ces moments intenses sont toujours esthétiquement différents – les contrastes entre noir et blanc sont plus appuyés, la lumière plus intense – comme pour combler un handicap de jeux d’acteurs. La cohérence de l’ensemble en prend un coup. Mais l’image n’illustre pas seulement l’intense ou la violence. Visuellement, la douceur a aussi sa place. Et l’autre peut être aussi une raison de vivre. Comme le rap, il peut être un tremplin. Ne supportant pas d’être au pied du mur face à cette violence, il retrouve le sens du partage avec l’islam et l’amour. Peinte loin des stéréotypes, la religion apparaît comme un moyen de discuter paisiblement et de retrouver une identité. Il laisse Régis derrière lui et renaît sous le nom d’Abd Al Malik. Cette renaissance, il la connait aussi dans le regard de Nawel. Plein de pudeur et de délicatesse dans sa mise en scène, l’amour est aussi une échappatoire. Dans ces moments-là, l’image nous caresse les yeux.

Au-delà des cris, au-delà des hématomes, Abd Al Malik ne filme pas un combat relationnel mais une lutte contre une condition sociale qui tentait de le mettre KO. A la manière d’un film de boxe, on voit le  personnage se relever et partager un frisson avec son public comme Eminem dans 8 Mile. Et avec lui, on partage l’extase et on lève le poing très haut.

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