CINÉMA

Performance Capture : Revolution Now !

“Personnages désincarnés aux traits figés ; personnages approximatifs, éteints, comme sonnés ; curieusement déshumanisés ; bidouillage à l’ordi ; littéralement inhumains…” peut-on entendre dans la presse française depuis une dizaine d’années. Mais quel peut bien être l’objet d’un si bel engouement ? En 1993 un projet français voit le jour : Didier Pourcel souhaite réaliser, juste avant le premier Toy Story, un film entièrement en image de synthèse… avec de vrais acteurs, en capturant leurs mouvements par ordinateur, Richard Bohringer en tête. Hélas, cette position avant-gardiste sera de courte durée, puisque, faute de financement, le film n’arrivera jamais à son terme. En 2004, Robert Zemeckis dévoile à la face du monde son Pôle Express, considéré comme le premier film tourné entièrement à l’aide d’une technologie qui vient tout juste de voir le jour, la Motion Capture. Plus tard, cela se perfectionnera, en devenant la Performance Capture, pour se faire appeler ensuite plus généralement le cinéma virtuel. Et si cette technologie pour certains, simple méthode de travail pour d’autres, était en train, sous nos yeux, de devenir l’un des plus grands bouleversements de l’Histoire du Cinéma ? Et si nous étions tous les témoins actuels d’une révolution qui définira, en fin de compte, le futur du Cinéma ?

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La Performance Capture fait resplendir l’oeuvre d’Hergé- Tintin et le secret de la licorne – Sony pictures Droits réservés

Il s’agit de capturer les mouvements à l’aide de capteurs d’un acteur, aussi bien au niveau de sa gestuelle corporelle que de son visage, d’où performance, pour ensuite les incorporer dans un ordinateur afin qu’ils soient transposés dans une silhouette numérique. Les acteurs se retrouvent à jouer, comme au théâtre, dans un milieu vide de décors ou seulement avec des objets grillagés pour permettre à la lumière de passer. Par conséquent la performance de l’acteur est mise au centre du processus de production puisque c’est à partir d’elle que le film se forme. Et c’est ici que la Performance Capture dévoile l’un de ses intérêts. En effet, jusque là l’acteur devait correspondre au personnage : par exemple, un personnage âgé peut difficilement être joué par une personne de 20 ans. Ici, cette théorie de l’incarnation est donc totalement remise en question puisque tout acteur peut jouer n’importe quel rôle. Il est choisi uniquement pour sa sensibilité, son talent. Prenons comme exemple Ray Winstone, un homme bedonnant qui devient miraculeusement Beowulf, un héros iconique au charisme guerrier. Certes, on ne peut nier l’apport des techniciens qui doivent compléter numériquement ce que la technologie n’a pu capturer avec précision. Mais de plus en plus, cette intervention prend progressivement moins d’importance, ce n’est donc qu’une question de temps. Cela ouvre alors radicalement de nouvelles perspectives d’interprétations puisque désormais un dragon, un gobelin, un singe, un extra-terrestre ou même une maison (voir Monster House) peuvent être joués par un acteur. Et cela peut devenir un réel argument narratif, à l’instar du Drôle de Noël de Scrooge où Jim Carrey joue bien sûr Scrooge mais également tous les esprits des Noël passés, présents et futurs, car ils sont vus comme le prolongement métaphorique du personnage. C’est souvent à ce moment-là que les détracteurs dégainent l’un de leurs principaux arguments : les personnages sont laids, froids et ont un look de jeux-vidéo. A cela, nous pourrions répondre qu’il ne faut pas oublier que là où le cinéma avec caméra a été inventé il y a plus d’un siècle, le cinéma virtuel, lui, a seulement un peu plus de 10 ans. D’ailleurs, il semblerait que son âge ingrat soit en passe d’être révolu au regard de l’avancée saisissante faite sur le Gollum version Hobbit. Sans doute un signe d’une évolution des mœurs, il se murmure qu’Andy Serkis, le roi de la Performance Capture (il cumule à lui seul Gollum, King Kong, le capitaine Haddock), soit en passe d’être nominé à l’Oscar pour sa performance en Caesar, le singe leader de La planète des singes.

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Andy Serkis le leader du cinéma virtuel- La planète des singes, l’affrontement / Source : Sony pictures Droits réservés

Ecoutez les réalisateurs parler de leur travail, leur vision du projet initial est loin d’être le résultat final. Et pour cause : les phases de pré-production, de tournage et ensuite de post-production multiplient les aléas, les imprévus et le film ne devient “qu’une lente dégradation du projet d’origine au produit fini » pour reprendre François Truffaut. Or le cinéma virtuel est le moyen le plus sûr pour que le film fini soit le plus conforme à l’envie initiale du réalisateur. Imaginez un peu, une fois la performance des acteurs capturée, le réalisateur se retrouve devant les personnages reconstitués et le décor créé numériquement : libre à lui de laisser cours à son inventivité. En effet ses possibilités sont ainsi uniquement limitées par les règles propres à la grammaire cinématographique, et uniquement à cela. La caméra étant virtuelle, il peut donc faire à peu près tout ce qui est possible et imaginable. Le réalisateur est alors libre d’expérimenter autant qu’il le veut, de tenter tel ou tel mouvement, tel ou tel raccord et voir ce qui fonctionne le mieux sur le spectateur, quitte à recommencer. Naturellement, de telles libertés risquent de faire évoluer les possibilités de mise en scène, de repousser les limites pour amener le Cinéma vers des contrées inédites. A ce titre, le Tintin de Spielberg est un véritable manifeste de ces nouvelles possibilités. Qui a déjà vu auparavant un plan séquence (la course poursuite en side-car) avec un tel foisonnement d’idées de mouvements, de chorégraphie, de spatialisation, de rythme tout en étant constamment lisible et profondément galvanisant ? Qui a déjà vu un seul plan (la scène de Haddock revivant l’histoire de son ancêtre) mélanger le présent, le passé, passant de l’échelle humaine au niveau d’un étincelle en une seconde tout en étant d’une grande fluidité alliée à une énergie folle ? De telles ambitions, le cinéma virtuel en a à profusion, et ce n’est que le commencement. C’est sans doute pourquoi des cinéastes majeurs comme Spielberg, Robert Zemeckis, Sam Raimi, David Fincher, Peter Jackson, George Miller, James Cameron et même Kubrick qui s’y intéressait de près, y voient un intérêt créatif considérable.

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La consécration du cinéma virtuel par James Cameron- Avatar – Twentieth Century Fox Droits réservés

Cependant il faut bien avouer que le public ne semble pas très réceptif à ces avancées. Tous les films ayant utilisés intégralement la Performance Capture ont été un flop (Le Pole Express, Beowulf, Le drole de Noël de Scrooge, et Tintin au regard du box-office US). Par contre les films hybrides, c’est-à-dire l’utilisant en partie, ont trouvé leur public, et le plus bel exemple reste Avatar et ses 3 milliards de dollars. Mais cet accueil froid de la part du public et des critiques n’est au final qu’une énième répétition dans l’Histoire du Cinéma des avancées allant à l’encontre des conventions acquises, à l’instar du passage au parlant ou à la couleur. Qu’importe, les trois prochains Avatar prévus à partir de 2016 et les deux suites à Tintin pourraient définitivement bouleverser l’Histoire du cinéma virtuel et, à fortiori, du Cinéma tout entier.

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Le cinéma virtuel et ses pistes artistiques infinies- Tintin et le secret de la licorne – Sony Pictures Droits réservés

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