Grise, tournoyante, menaçante, la poussière est partout. Elle crée des maladies, des tempêtes, des asphyxies. Loin des zombies de Walking Dead et des extra-terrestres tombés du ciel de La guerre des mondes, l’apocalypse sur terre est d’un nouveau genre : vraisemblable. La nature est grande, bien plus puissante que l’Homme, même s’il l’oublie trop souvent. Elle nous ramène à notre condition de mortels en deux coups de vent. La nature survivra, les hommes, pas sûr. Heureusement, Christopher Nolan a fait en sorte que Cooper soit là, accompagné d’un leitmotiv grandiose, signé une nouvelle fois Hans Zimmer, pour sauver le monde.
L’espèce humaine est en voie d’extinction (comme les ours polaires d’aujourd’hui) ; « Nous avons suffisamment d’ordinateurs et de vaisseaux, ce qui nous manque c’est de la nourriture » dévoile l’instituteur de Murph. C’est pour cela que son père, Cooper, est agriculteur. Rien d’autre ? Pas tout à fait, il est le père veuf de Murph et de Tom et surtout un ancien pilote émérite de la NASA. Entre deux tempêtes de poussière, Murph croit voir un fantôme dans la bibliothèque. Il s’avère assez vite ne pas être seulement une présence mystique et correspondre en fait à des coordonnées géographiques mystérieuses. Murph et son père se rendent sur place et découvrent une base cachée de la NASA. Enlevés et aussitôt libérés, Cooper semble vite être l’Elu, le messie sauveur de la terre, tandis que Murph, elle, semble être une fille brillante et prometteuse. En quelques jours, Cooper prend la décision de partir dans l’espace affronter les trous noirs pour trouver une nouvelle planète à coloniser. Il laisse alors ses enfants sur Terre, sans l’assurance d’un retour. La souffrance au sol est réelle, l’envie de la fuir l’est aussi. Si quitter la terre semble être la solution, vivre près des étoiles est un dialogue avec la mort. Entre un hommage au cinéma de science-fiction et une expérience de ce qui nous dépasse, Interstellar est un film impressionnant.
Le vide interstellaire, c’est une détresse que connaissent les marins. « La plupart des grands navigateurs ne savent pas nager, mais pas du tout – nous sommes un peu des grands navigateurs », lance Cooper à un de ses coéquipiers. Le vide c’est le silence. Pur, il accompagne les plans grandioses de l’extérieur du vaisseau, illustrant sa structure rotative et épurée. A l’inverse, les prises de son à l’intérieur du vaisseau mettent en relief des sons parasites, rappelant que l’équipage vit sur une machine. A travers une confrontation des sons mêlée à celle des espaces, Nolan crée une impression de vertige. Rassurons les estomacs, ce vertige ne donne pas la nausée. La gravité recréée par une centrifugeuse, façon 2001 l’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick, fait en sorte que les corps ne se baladent pas partout. Pas de Dupont et Dupond qui se tiennent à eux-mêmes comme dans Tintin – On a marché sur la Lune, mais plutôt des personnages ayant les pieds sur terre – sans être dessus.
Vulgarisant suffisamment la théorie de la relativité pour la rendre accessible à tout cerveau bien réveillé, Nolan confronte ses personnages et les spectateurs aux limites de l’homme. « 1h ici, c’est 7 ans sur terre » préviennent les robots avant les expéditions sur les planètes. Mais après avoir discuté du taux d’humour autorisé dans un vaisseau avec des robots ressemblant à des monolithes kubrickiens, on peut certainement considérer que tout est concevable. Et Nolan nous le rappelle avec finesse et simplicité. De retour sur le vaisseau après un échec de mission pour cause aquatique – nos tsunamis ne sont que peanuts à côté – Cooper découvre la vie de son fils en rétrospective vidéo, sur un petit écran de la base.
Considérant peut-être que nous n’étions pas assez perdus dans des concepts temporels étranges, Nolan décide de mêler espace et temps en leur donnant une dimension physique, palpable. Prenant les trous noirs pour une attraction, Cooper se fait une frayeur de gosse et accède à sa propre vie, mais de l’extérieur – étant donné que c’est inexplicable et mal expliqué, ceci n’est pas un spoil. Des êtres supérieurs y sont forcément mêlés : la figure est semblable à l’intelligence extraterrestre que l’on trouve dans l’excellent Contact de Robert Zemeckis. En tentant d’élargir les possibilités de ces dimensions, il essaye par la même occasion d’élargir notre cerveau. Et de le rétrécir, parfois à grands coups de schémas scénaristiques prédigérés – et on ne peut pas donner d’exemple sans spoil -, de conception ultra-classique d’un amour transcendant forcément les dimensions spatio-temporelles, ou encore avec l’irruption incompréhensible d’un Matt Damon pas sympathique et autres facilités de ce genre.
Traitant de sujets complexes par une vulgarisation scientifique sans tomber dans le « ballet spatial » oubliant les relations humaines, Interstellar est semblable à ces bouquins aux unes soi-disant méprisantes, « pour les nuls » : tout en gardant une certaine finesse et montrant un Matthew McConaughey brillant – comme toujours – pour incarner Cooper, il attrape les regards d’un large public et ne les lâche pas.