SOCIÉTÉ

La « révolte des parapluies »

Alors que les soutiens étrangers à l’égard des manifestants hongkongais se multiplient, et que le mouvement de contestation s’amplifie, Pékin s’irrite mais reste ferme. Les députés hongkongais doivent se prononcer sur le nouveau mode de scrutin au printemps 2015.

Un bref rappel historique : Hong Kong, un statut particulier

Lors de la première guerre de l’opium entre 1839 et 1842, la Chine cède Hong Kong, par le traité de Nankin, au Royaume-Uni, qui en fait une base importante de son commerce en Extrême-Orient, en raison de sa position géographique stratégique. Le 1er juillet 1997, la fin du bail de 99 ans établi par le traité aboutit à la rétrocession de Hong Kong à la Chine, et c’est depuis un territoire autonome appartenant à la Chine. En raison de ce statut particulier, ce n’est pas une province comme les autres. Les citoyens sont habitués au multipartisme et au vote (même si ce n’est pas pour le chef de l’exécutif), il existe une presse libre et une justice indépendante.

Une chronologie des événements

Pour comprendre pourquoi le centre d’Hong Kong est actuellement rempli de citoyens contestataires, il faut remonter le temps.

Le 10 juin 2014, la Chine qui avait promis le suffrage universel direct pour l’élection du chef de l’exécutif hongkongais en 2017, annonce qu’il y aura bien suffrage universel direct mais que seuls 2 ou 3 candidats choisis par un comité de nomination pourront se présenter au scrutin. Jusqu’alors, le chef local était élu par une assemblée législative en partie élue au suffrage universel, mais était moins restrictive sur les candidats et donc plus ouverte.
Le 30 juin 2014, lors d’un « référendum citoyen » non officiel lancé par le mouvement pro-démocratie Occupy Central with Love and Peace (OCLP) et toléré par les autorités, 800 000 hongkongais votent en faveur de la démocratie.
Le 1er juillet, lors du défilé traditionnel marquant le jour de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, 500 000 personnes défilent pour réclamer la démocratie.
Fin août, le gouvernement confirme sa décision du mois de juin. Dénonçant une violation des engagements qu’il avait pris en 1997, les mouvements pro-démocratie lancent la « désobéissance civile ».
Le 22 septembre dernier, plus de 10 000 étudiants se mettent en grève pour une semaine, avec l’aval de leurs professeurs pour protester contre cette mesure anti-démocratique.
Les 27 et 28 septembre, de violents heurts éclatent. La police intervient en utilisant du gaz lacrymogène : 78 arrestations et 26 blessés, un fait rare à Hong Kong. Les étudiants lancent un ultimatum au chef pro-Pékin de l’exécutif local : s’il ne démissionne pas, le mouvement se durcit. Ce dernier refuse.
Le 1er octobre, lors de la fête nationale de la République Populaire de Chine, étudiants et mouvements pro-démocratie continuent à occuper le centre de Hong Kong. Le gouvernement chinois propose par la suite une rencontre avec des représentants des protestataires pour calmer cette crise politique, mais il l’annule par la suite.
Le 16 octobre, Leung Cheun-Ying, chef de l’exécutif hongkongais propose un nouveau rendez-vous.
Le 21 octobre, les étudiants et les autorités se rencontrent enfin.

Les réclamations des manifestants

Les manifestants sont en grande majorité des étudiants. A leur tête, 3 jeunes leaders : Joshua Wong (qui avait il y deux ans réussi à faire abandonner le projet d’introduction à l’éducation patriotique dans les programmes des écoles hongkongaises), Alex Chow et Lester Shum. Ils souhaitent que Pékin revienne sur sa décision et l’accusent de vouloir renforcer son emprise sur Hong Kong qui est un territoire autonome et prêt à devenir démocratique. La seule « arme » de ces jeunes citoyens contre le soleil et le gaz lacrymogène a soufflé le surnom de ce mouvement : « la révolte des parapluies ».

La position du gouvernement chinois : pourquoi la Chine ne peut-elle pas se permettre de perdre cette bataille ?

Le gouvernement soutient le pouvoir en place à Hong Kong et refuse catégoriquement de revenir sur le mode de scrutin choisi pour 2017. Et il y a une raison à cela : si Pékin cède pour Hong Kong, d’autres provinces chinoises pourraient s’éveiller et réclamer plus de démocratie, ce que le PC souhaite éviter à tout prix. Toutes les revendications internes, durement réprimés par le régime pourraient remonter à la surface, comme les révoltes des minorités (Ouïgours…) et mettre en péril le modèle actuel.

Un dialogue de sourds ?

La rencontre du 21 octobre s’est avérée décevante et quelque peu désespérante. Les intérêts des autorités et des étudiants sont trop divergents et pour l’instant, aucun des deux partis ne semble prêt à faire des concessions. Pékin utilise les lois et la constitution pour légitimer sa décision, mais les contestataires, qui ont soif de liberté et restent pleins d’espoirs, sont décidés à tenir tête.

Le rôle d’internet et des réseaux sociaux

Il ne faut pas sous-estimer le rôle des technologies dans ce mouvement. En effet, la Chine, coutumière de la censure et apeurée à l’idée d’une contagion de la révolte à d’autres régions chinoises, a sévit sur Internet durant tout le mouvement. Ainsi, Instagram a été bloqué en Chine fin septembre, tous les hashtags « #occupycentral » ont mystérieusement disparus de Weibo (une sorte de twitter chinois), et la chaîne de la BBC a été bloquée après avoir diffusé des images d’un manifestant pro-démocratie se faisant frapper par plusieurs policiers en marge d’une manifestation. Par la suite, plusieurs sites web pro-démocratie tels que HKDash ou Passion Times ont subi des cyberattaques, auxquelles des hackers ont répondu en piratant des sites du gouvernement : une véritable cyberguerre entre les deux partis en marge du mouvement.

A une époque où on a enterré le communisme, où le socialisme ne sait plus où il va, où le capitalisme et le libéralisme sont plus que jamais remis en question, où la démocratie continue à se mondialiser, la Chine, à la fois communiste et capitaliste, se retrouve confrontée à ses propres paradoxes. La Chine campera-t-elle sur ses positions et choisira-t-elle la répression (comme en 1989 avec les massacres de Tian’anmen) ? Ou osera-t-elle faire des concessions aux hongkongais au risque de réveiller d’autres révoltes ? Peut-être que le modèle « un pays, deux systèmes », aboutira au fil des révoltes, des discussions et des concessions, à un régime politique plus en phase avec les attentes de la population et notamment de la jeunesse (qui sait…une démocratie ?), ou au contraire que la Chine renforcera son emprise sur Hong Kong et s’enfermera un peu plus dans son système autoritaire. La tournure que prendra le mouvement dans les prochaines semaines apportera un début de réponse.

Secrétaire générale de la rédaction du magazine Maze. Provinciale provençale étudiante à Sciences Po Paris. Expatriée à la Missouri School of Journalism pour un an. astrig@maze.fr

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