Marguerite Germaine Marie Donnadieu, alias Marguerite Duras, a 30 ans lorsqu’elle se met à rédiger ses Cahiers de guerre. Sous la forme d’un journal, elle note et laisse des traces de ses pensées, impressions, mésaventures sous l’Occupation. Elle les réécrira sous une forme fictionnelle dans La douleur, recueil qui contient récits et anecdotes, description controversée d’une femme qui essaie de vivre malgré la souffrance.
« J’ai retrouvé ce Journal dans deux cahiers des armoires bleues de Neauphle-le-Château.
Je n’ai aucun souvenir de l’avoir écrit.
Je sais que je l’ai fait, que c’est moi qui l’ai écrit, je reconnais mon écriture et le détail de ce que je raconte, je revois l’endroit, la gare d’Orsay, les trajets, mais je ne me vois pas écrivant ce Journal. Comment l’aurais-je écrit, en quelle année, à quelles heures du jour, dans quelle maison ? Je ne sais plus rien. »
Ainsi commence La douleur.
S’il est quelque chose dont on peut être sûr, c’est que l’œuvre de Marguerite Duras est intimement liée à sa vie. Un barrage contre le Pacifique, le roman qui l’a fait connaître est avant tout autobiographique. L’Amant, qui lui vaudra le Prix Goncourt en 1984, et sa réécriture publiée sept ans plus tard, L’Amant de la Chine du Nord, s’inspirent tous deux de son adolescence en Indochine. Mais c’est sans nul doute La douleur qui se distingue parmi ses nombreux écrits. Ce livre est en effet à part au sein même de la littérature. L’auteure le dit, elle l’écrit même : « La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie […] Je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment, auquel je n’ai pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m’a fait honte. »
Amnésie réelle face à ses sentiments, ou manipulation délibérée, ce livre fit polémique lors de sa publication. Duras fut accusée de se justifier, d’en rajouter. La véracité de l’ouvrage fut remise en question. Ainsi, la question de la réécriture fut soulevée : pourquoi ne pas avoir publié le livre tel quel, en en modifiant seulement les noms ? En vérité, la mise à distance que nous permet La douleur par rapport aux Cahiers de guerre est intéressante. L’emprise du temps sur l’esprit humain se retrouve tracée sous nos yeux. « Les personnages durassiens sont […] philosophes puisqu’ils ressentent et anticipent le sentiment de la finitude, de l’altération de toute chose, notamment de l’amour. L’écriture de Duras est postérieure à cette perte. » explique Cécile Brochard, de l’Université de Nantes. Un regard postérieur réécrivant le passé. Comprendre. Prendre de la distance par rapport à soi-même. Car après tout, ce roman est avant tout personnel. Le roman de la guérison. Une arme contre l’oubli.
Cette année, Marguerite Duras aurait fêté ses 100 ans. C’est donc l’occasion de découvrir ou redécouvrir son oeuvre. Commencer avec La douleur, c’est lire et comprendre l’auteure, observer les différentes facettes de sa personnalité. Le portrait contrasté d’une femme perdue, contrainte par la guerre et la vie. Il n’y a rien à juger ici, on peut juste admirer une peinture humaine des plus singulières et se demander ce que l’on aurait fait à sa place.