La sortie d’un nouveau film de David Fincher est toujours un petit événement en soi. Or, il faut bien avouer que le voir s’attaquer à ce qui s’apparente à un simple thriller domestique pouvait nous rendre perplexe quand à l’intérêt que le bonhomme pouvait y trouver. Mais cela serait oublier sa capacité à être là où on ne l’attend pas et surtout à transcender ses sujets, même les moins attractifs. Après tout, The Social Network n’était t-il pas beaucoup plus qu’un simple biopic d’une personnalité à la mode ? Ou L’étrange histoire de Benjamin Button l’une des plus belles histoires d’amour de ces dernières années avant d’être un film au postulat fantastique ? Ainsi Gone Girl serait bien l’un des principaux événements de cette rentrée 2014.
Il est assez difficile de parler de ce film sans griller le twist central. Disons simplement que cette histoire d’un mari (Ben Affleck, surprenant de justesse) qui se voit accusé par toute la société du meurtre de sa femme repose sur les apparences. Dès la première image, le film inscrit la problématique du point de vue au centre de l’intrigue. Ainsi jusqu’à l’ultime plan, Fincher tisse un jeu entre les personnages et nous, le spectateur, en nous poussant constamment à questionner ce que l’on voit, et l’appréciation que l’on en a. Finalement le vrai sujet, et sans doute la raison de la présence de ce réalisateur, est de mettre en perspective notre rapport à l’image, qu’elle soit médiatique ou plus généralement des autres. C’est ici que refait surface la vision nihiliste de notre société de l’auteur de Seven, dont la plupart de ses films se terminent sur le suicide du personnage principal, quelle que soit sa forme. Fincher peint un monde où la forme est plus importante que le fond, c’est pourquoi il en va de la fabriquer, d’autant plus dans un contexte de réseau social et d’envahissement d’images médiatiques. A ce titre, la fronde, à peine dissimulée, contre les médias américains, que l’on pourrait très bien transposer chez nous, est d’une incroyable justesse (un simple fait divers construit de toutes pièces par la presse devient un grand phénomène de société). In fine, le film ne traite rien d’autre que les rapports de force entre les personnages, dont chacun d’entre eux manipule l’autre dans son propre intérêt.
Mais il faut bien reconnaître que sur la forme, le film peut être déstabilisant. En mettant celui-ci en perspective avec le précédent, Millenium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, on a comme l’impression que ce dernier a été une forme de catharsis pour Fincher. Comme si cela avait été un moyen pour se décharger de toute sa violence et d’une mise en scène un temps soit peu ostentatoire. Ici rien de tout cela, bien au contraire, le cinéaste ménage ses effets pour mieux marquer son spectateur lors de sa principale scène de violence : rien de moins qu’un geyser de sang à la fois captivant et tétanisant. Sa mise en scène également n’aura jamais été aussi sobre, préférant se concentrer sur son histoire et les rapports entre les personnages. Son perfectionnisme, que l’on pourrait rapprocher d’un Kubrick, est ici totalement au service d’une approche ancrée dans son sujet, comme lors de cette chute de neige, s’avérant du sucre, qui symbolise à elle seule le couple entre amour sincère et autodestruction.
Fort de son succès publique et critique, on espère de tout cœur que cela permettra à David Fincher d’avoir accès aux moyens dont il a besoin pour ses prochains films. En ce qui nous concerne, on rêve de le voir un jour faire son adaptation de longue date du roman 20 000 lieux sous les mers de Jules Vernes, qu’il présente lui-même comme son Star Wars à lui. Disney ayant refusé officiellement de donner les 200 millions de dollars nécessaires pour se faire, le film est en très mauvaise posture de voir le jour. Espérons que là aussi, tout soit affaire d’apparence…