LES GRANDES SÉANCES
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Prenez la Halle Tony Garnier ou bien les plus grandes salles des cinémas lyonnais, remplissez les gradins ou les sièges – même ceux des côtés où le risque de torticolis est élevé – de quelques milliers de personnes. Faites en sorte d’avoir un ou plusieurs film cultes, quelques invités et voilà, vous avez une grande séance. Recette simple et vendeuse, elle peut nous laisser légèrement blasé. Mais non, les toiles immenses et les hauts-parleurs qui défoncent les tympans, ça a la capacité de vous laisser des empreintes dans le cerveau, des souvenirs tenaces. Peut-être qu’il n’a rien à faire au festival Lumière mais ce cinéma fracassant, on l’aime aussi.
Massacre à la tronçonneuse
Cette année, les spectateurs pouvaient découvrir ou redécouvrir Massacre à la tronçonneuse peu de temps avant sa ressortie en salle le 29 octobre à l’occasion de sa remasterisation en 4K, supervisée par le maître lui-même. Enfin, peut-on vraiment parler de ressortie ? En effet après une censure puis à son classement X pour “incitation à la violence” son succès s’est surtout fait par la voie de la VHS et du circuit illégal (environ 500 000 VHS pirates rien qu’en France). Ainsi pour la grande majorité des spectateurs présents c’était le premier visionnage dans une salle de cinéma. Justement les conditions de la salle s’avèrent ici plus qu’idéal, avec un nouveau transfert proche de la perfection, permettant de libérer toute la fureur visuelle qui a permis de terrifier génération après génération. Néanmoins l’époque ayant changé, et il faut bien avouer que beaucoup ont été troublé ne sachant pas sur quel pied danser, entre trip burlesque et horreur viscérale, sans doute habitués à un trop plein de formatage de la production actuelle. Cela n’a pas empêché de ressentir un malaise certain envahir la salle lors de scènes, même 40 ans plus tard, toujours aussi tétanisantes : la première apparition de LeatherFace, la découverte de la salle à manger macabre au milieu des plumes, et le montage acéré de la scène finale d’extrêmes gros plans épuisants.
La nuit Alien
De 21h jusqu’à 7h du matin, environ 4000 personnes ont pu enchaîner les quatre films de la saga regroupant Ridley Scott, James Cameron, David Fincher et Jean-Pierre Jeunet. Ce dernier justement était le grand invité en venant ouvrir cette nuit. Loin de la langue de bois habituelle, il est étonnant d’entendre le réalisateur reconnaître clairement que son film est le plus mal-aimé de la saga, alors qu’il se révèle être simplement une honnête petite série B. Malgré cela il assume totalement le résultat final, excepté certains détails accordés à la production. Le principal intérêt de ce marathon sado-cinématographique était de s’apercevoir, sous nos yeux, l’évolution d’une mythologie et son traitement au fil des différents cinéastes. Force est de constater que chaque épisode est identifiable, a une identité qui lui est propre malgré des producteurs envahissants. D’ailleurs, Fincher n’a toujours pas cicatrisé ses déboires, allant jusqu’à renier son opus qui, sans être complètement abouti, a le mérite d’imposer une certaine vision et les germes d’une future filmographie prospère. Finalement, ce que l’on retiendra de cette nuit est que, malgré la fatigue qui s’est accumulée au rythme des tueries, l’ambiance festive a survécu. Et cela jusqu’à faire resurgir une certaine conception du cinéma-spectacle à savoir un public qui vibre et s’amuse dans le même élan galvanisé.
La séance enfant : Le voyage de Chihiro
Hommage à Hayao Miyazaki, le festival Lumière a projeté mercredi dans la Halle Tony Garnier Le voyage de Chihiro.
En effet, Miyazaki avait annoncé en même temps que la sortie de Le vent se lève qu’il entamait sa retraite et le festival Lumière entendait remercier son travail en le programmant. Mais, est ce vraiment le remercier que de projeter pour la séance jeune public un film de celui qui faisait rêver autant les petits que les grands ? L’hommage paraît fourré là où peu pourront se plaindre et la séance Jeune Public se teintera des pleurs de bambins apeurés par les monstres de Chihiro.
Les ciné-concerts
A la vue du prospectus, un muet allemand en noir et blanc à 11 heures du matin un dimanche semblait peu attirant. Mais les conseils de nombreux cinéphiles me poussèrent à aller jeter un coup œil. Imaginez une ombre de main ou un regard appuyé par un orgue, imaginez cuivres et cordes accompagner la folie puis la détresse d’un vampire ou celle d’un homme. Pour Le dernier des hommes, l’orgue rugit donnant force et vie au héros, personnage imposant aux yeux exorbités. Tandis que sur l’image sublime et muette de Nosferatu, l’orchestre fait l’effet d’un baiser régénérateur. Il redonne un souffle – morbide – de vie à cette histoire hantée par une peste et une mort aux canines acérées. Le ciné-concert est bien présent au festival et parfois par surprise comme à la séance en hommage à Henri Langlois – créateur de la Cinémathèque française -, où un pianiste transforma deux films de ses dix doigts. Le lien entre les œuvres du passé et le jeu des musiciens crée de grands moments de cinéma : la restauration est instantanée et les films existent là, devant nos yeux, aussi authentique qu’à leur sortie. Jetez vos chaînes hi-fi, vos casques audio et les haut-parleurs de vos ordinateurs : même avec tout l’espoir du monde, rien ne vaudra jamais un orchestre pour emmener un film et son spectateur.
La séance de clôture
Une cérémonie de clôture splendide, à l’image d’Almodovàr. Un karaoké géant de Restire pour l’accueillir, des discours émouvants, de la joie, de la bonne humeur, du cinéma. L’artisan du festival, Thierry Frémaux, rend hommage aux 100 ans de la Halle Tony Garnier. Marisa Paredes, la muse de Pedro, est à ses côtés. Timide, le réalisateur s’essaye au bain de foule. La salle hurle, la clameur monte, Pedro est au 7e ciel. Et nous aussi. C’est ça le festival Lumière, aimer, rire et chanter. Pedro se lève, fait un voeu de postérité pour le Festival. Un dernier hommage va être rendu à l’espagnol avec la projection de Tout sur ma mère. “C’est un hommage à toutes mes actrices, à toutes les actrices.” Chapeau bas l’artiste.
Séance surprise !
Ajoutons un petit mot sur un événement inattendu, mais de taille : la venue surprise au cours du festival de l’un des réalisateurs hollywoodiens majeurs, John Mctiernan (Die Hard 1 et 3, Predator, Last Action Hero, A la poursuite d’octobre rouge, le 13ème guerrier…). Huit mois après une année carcérale, pour une mise sur écoute de ses producteurs par le détective privé Anthony Pellicano, et quelques semaines après sa rétrospective à la Cinémathèque ainsi qu’un hommage par le festival de Deauville, Mctiernan était donc à Lyon. Venu pour présenter Meet John Doe (L’Homme de la rue) de Frank Capra, il a introduit une séance organisée à l’improviste de Die Hard : Piège de cristal dans sa copie restaurée. Il est apparu comme un homme, certes fatigué, mais déterminé à faire valoir son discours politique acerbe sur l’Amérique, et surtout à revenir dans le cinéma. Son prochain film Red Squad, avec John Travolta et qui contiendrait de très nombreux plans d’effets spéciaux, a de grande chance d’imposer, comme ce fût le cas pour ses films de fins des années 80, de nouvelles règles de mise en scène.
Remerciements à Nicolas Da Silva
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