Daniel Victor Snaith. Manitoba. Daphni. Mais surtout Caribou. Tant de noms pour nommer ce mathématicien hors pair des sons, ingénieur des rythmiques et créatif au talent admis par tous en 2010 avec Swim, premier album de l’artiste aussi médiatiquement mis en avant, malgré de nombreux précédents, et qui a su mêler avec finesse et volupté techno music, pop rock et psychédélisme pop en laissant derrière lui des morceaux comme Sun ou Odessa, devenus cultes.
Difficile alors de passer, quatre ans plus tard, à côté d’Our Love, nouvelle sortie chez Merge Records de l’Ontarien maintenant basé à Londres, surtout à l’écoute de la bombe, sortie au courant de l’été : Can’t do without you, déclaration d’amour presque névrotique mais puissamment psychédélique (track sur laquelle s’est même auto-remixé le jeune papa).
L’album en lui même, paru début octobre, nommé Our Love se révèle cependant être en deçà du niveau auquel Caribou nous avait habitué avec Swim ; oh, non, pas de beaucoup, mais suffisamment pour lui attirer les foudres des médias. Frôlant simultanément la crise de la quarantaine et celle du second album « médiatique », Caribou a de quoi perdre le peu de cheveux qu’il peut lui rester.
Mais au final, que penser d’Our Love ? Il est, premièrement hétérogène sur la longueur. Même si certaines tracks finement menées – All I ever need et Your love will settle free en étant les deux exemples les plus parlants – permettent à l’album de ne pas se perdre dans une longueur inutile et ennuyeuse, il est vrai que certaines autres comme Silver ou Julia Brightly ne semblent servir que d’interludes non finalisées, à notre grand déplaisir, malgré une production des plus pointues. Propre, certes, mais pas pour autant efficace.
Mais malgré ce défaut, Our Love gagne quand même le pari de nous toucher via des textures des plus douces et des plus intimes, sur des rythmes lancinants et sensuels (pensée au morceau éponyme à l’album). Caribou arrive donc avec grâce encore une fois à mêler parfaitement expérimental & pop, à trouver le juste milieu, le parfait équilibre entre dance music et musique de salon, et à faire s’ouvrir nos cœurs. Cherchant peut être un peu trop la perfection, la créativité de l’artiste a pu être mise à mal.
Mais Caribou était également attendu au tournant quant à sa prestation live. Après avoir fait danser des foules de part et d’autre du globe durant quatre ans, de la première partie de Radiohead à Nîmes aux Boiler Room, le retour du génie canadien était prévisible, et c’est carrément une tournée mondiale qu’entreprend l’artiste. Nous avons eu la chance d’assister à une de ses performances, le 21 octobre dernier, au Transbordeur, salle lyonnaise mythique.
Affichée en première partie : Jessy Lanza. Jusque là inconnue (ou presque) des bataillons, la jeune canadienne (elle aussi), nouvelle signée chez Hyperdub – maison de qualité à laquelle nous adressons toutes nos condoléances tant pour DJ Rashad que pour The Spaceape – nous offre sur son premier et dernier album Pull my hair back un R’n’B « synthopique » et métallique, teinté de noir. Annoncée par beaucoup comme « le renouveau du r’n’b féminin contemporain », après AlunaGeorge, FKA Twigs ou autre Kelela (dont nous, rappelons le, sommes tous fans), la jeune femme a su doucement ambiancer un public hétéroclite. Voix sensuelle et groove presque angélique, les instrumentaux de Jessy paraissent presque dans l’obscurité de la salle ressembler à une deep techno puissante et rythmée. Petit à petit les corps se délient et les têtes commencent à bouger. Une prestation intéressante et pour tout dire surprenante de la part d’une artiste dont il nous plairait entendre des nouvelles sous peu.
Mais – et tout le monde s’accordera la dessus – personne n’était là pour elle. Tout le monde était la pour eux, pour lui, pour Caribou. Et c’est quelques minutes après qu’apparut enfin Dan Snaith et ses musiciens (Ryan Smith, Brad Weber et John Schmersal). Lumières de circonstances : Our Love est lancé, rapidement suivi des autres Your love will settle free, Odessa, etc … Le groupe joue ici la sûreté – au plus grand plaisir de son public, et se cantonne à jouer presque uniquement des morceaux du dernier et de l’avant dernier album. La tracklist s’étoffe et chaque opening se voit accueilli avec engouement par le public, réceptif au mélange d’electronica et de musique instrumentale qu’offre le groupe. Ce qui est assez intéressant avec le live de Caribou, c’est qu’ils ne se contentent pas uniquement de « jouer » leur musique, mais s’appliquent également à la « transformer ». Des tracks calmes comme All I ever need pour ne citer qu’elle se voient armer de bangers ultra violents et se transforment presque en hit UK house de sept ou huit minutes chacune.
Après un ultime (et malheureusement unique) rappel, j’ai cité Sun, parfait moment de communion entre le public et le groupe, le groupe quitte la scène. Les regards des spectateurs se croisent. Les sourires restent pour autant figés.
Caribou, à bientôt on l’espère.