SOCIÉTÉ

Une VIème République ?

Julien Dray, vice-président PS de la région Île-de-France, et Emmanuelle Cosse, secrétaire générale de l’EELV ont récemment lancé l’idée d’une réforme des institutions. « D’abord et avant tout, on a un système qui est à bout de souffle  » a déclaré M. Dray au « Grand rendez-vous  » Itélé-Europe 1-Le Monde début septembre, tandis que Mme Cosse assurait au forum de Radio J que « la Vième République est en train de montrer qu’elle est finie. » Tout deux préconisent avant tout un pouvoir parlementaire plus important, et critiquent l’idée d’un « Homme providentiel », idée qui est l’un des maîtres-mots de la cinquième République. Ce besoin d’un sauveur, homme offert par la Providence pour redresser la situation, a en effet été personnifiée par la figure de l’instigateur de la Vième République, le général De Gaulle.

L’historien Jean Garrigues a d’ailleurs analysé ce concept dans son ouvrage Les hommes providentiels. Pour lui, « la personnalisation du vote sous la Vième République peut favoriser l’appel à l’homme providentiel. » En effet, le pouvoir politique est en grande partie aux mains d’un seul homme, le président de la République, qui a d’autant plus de pouvoir qu’il est élu au suffrage universel direct. Pour Garrigues, « La comparaison avec les démocraties qui nous entourent est éclairante. Le premier ministre britannique ou la chancelière allemande doivent leurs désignations moins à leurs charismes qu’à la majorité dont ils sont issus. L’exception française est donc propice à l’émergence presque cyclique des Hommes providentiels ». Mais celui-ci ajoute que ce mythe est avant tout universel. Il cite même de grands Hommes américains qui en furent l’incarnation. Ainsi Lincoln, Roosevelt, JFK et Obama ont été vu par leur électorat comme des sauveurs face à la crise, sans pourtant avoir été élu directement, comme c’est le cas en France.

A travers un parallèle historique, on peut s’interroger sur le bien-fondé  d’un changement des institutions. Prenons l’exemple des structures politiques de la troisième République. Ce régime connut de grands succès en matière de politique sociale, avec par exemple, les avancées du Front Populaire, encore en vigueur aujourd’hui, mais traversa également de grands moments de crises institutionnelles et fût l’objet de nombreuses critiques. Revenons tout d’abord à l’instauration de celui-ci : la troisième République, au départ, aurait très bien pu basculer vers un régime présidentiel comme le nôtre. Cependant, après la crise du 16 mai 1877 et la démission de Mac Mahon, la fonction présidentielle fût considérablement affaiblie, et un régime parlementaire s’instaura de facto. Ce régime parlementaire permit l’éviction du danger royaliste, et diminua, aux yeux des contemporains, les risques de retour à une dictature personnelle, risques engendrés par un exécutif fort. Cependant, il entraîna également une instabilité ministérielle importante, particulièrement en temps de crises. Certains gouvernements n’eurent pas assez de pouvoir et/ou de temps pour régler celles-ci. Or, cette inefficacité, liée aux institutions, engendra une réaction antiparlementaire très forte, qui renforça les extrêmes. Ainsi, certains historiens attribuent la chute de la troisième République au profit du régime de Vichy à une absence de réforme des institutions dans un contexte international en crise. Evidemment, ce parallèle historique est à nuancer. Des journaux comme Le Nouvel Observateur ont déjà comparé les deux périodes et ont démontré que les situations nationales et internationales divergent sur de nombreux points. Si les deux périodes ont en commun une crise économique et la montée des extrêmes, il n’en demeure pas moins que notre pays a évolué sur de nombreux points.

Malgré tout, la question reste entière. Doit-on risquer de revenir à une instabilité parlementaire qui empêcherait toute sorte de décisions ? Ou peut-on prôner la permanence d’un exécutif fort, et risquer, par la même occasion d’affaiblir la démocratie en se complaisant dans ce qui pourrait être qualifié de nouvelle crise des institutions ?

La France est dirigée par un gouvernement qui a pour fer de lance le président de la République. Le pouvoir exécutif est donc grandement concentré en un seul homme. Certes l’instabilité ministérielle n’a plus lieu d’être, mais certains, comme M. Dray ou Mme Cosse, trouvent la tâche lourde pour un seul homme. Alors que faire ? Se condamner à un risque d’inaction en raison d’une pression parlementaire trop importante ? Ou laisser le pouvoir à un seul Homme, au risque que celui-ci n’ait pas les épaules assez larges pour en assumer le poids ? Mais est-ce vraiment le problème ? Le président de la République a-t-il autant de pouvoir qu’on le croit ? Une importance accrue du Parlement peut-elle permettre des améliorations ? Aujourd’hui les lobbys économiques disposent d’un pouvoir important. Ils influencent largement la politique française. De plus, la présence d’instances supranationales, comme le Parlement de Strasbourg, ou la Commission européenne complique la donne.

D’ailleurs, François Hollande lui-même n’incarne nullement la figure d’ « Homme providentiel » telle que la conçoit Garrigues. En effet, celle-ci est fondée avant tout sur le charisme et la personnalité. Or, M. Hollande a fait campagne en se présentant comme le président de la normalité. Peut-être le mécontentement général vient-il de là ? Le problème viendrait alors d’une absence de surreprésentation de la part du président de la République actuel, et non de son inaptitude à gérer les crises. Est-ce la Vième République que M. Dray critique, ou est-ce le président actuel ? La question se pose. Histoire à suivre de près.

Grande voyageuse (en devenir). Passionnée par la littérature et les langues étrangères. Dévoreuse de chocolat. Amoureuse éperdue de la vie et de la bonne bouffe. "Don't let the seeds stop you from enjoying the watermelon"

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