CINÉMA

Benoît Jacquot – Jeux de scènes

La montée des quelques marches du Comoedia de Lyon amène à une salle de bistrot branchouille. Assis au fond de la salle sur une banquette, Benoît Jacquot, en velours noir, un verre de vin blanc à la main. Nous ne sommes que trois avec lui alors le réalisateur de La fille seule peut nous observer de ses yeux perçants. Un “je vous écoute” et les questions commencent. Avant de vous dévoiler son film, il faut d’abord parler de ce qui frappe chez lui. Un parler franc assez distant, des sourcils broussailleux par delà lesquels il scrute : Benoît Jacquot impressionne. Les réponses à nos questions sont belles mais très évasives. Imaginez quelqu’un de vif, quelqu’un un peu agacé. Imaginez l’incompris et vous aurez ce que j’ai vu de Benoît Jacquot. Pourtant l’invitation est à la discussion puisqu’il nous accueille, plaisantant avec un air théâtral par l’annonce d’un bon gros rhume.

Votre film s’inscrit dans un ton tragique, pourquoi avoir fait de 3 coeurs un drame ?

Benoit Jacquot “Je n’aime pas trop les expressions comme ça. Je voulais faire de cette histoire une histoire de gens.”

Pourquoi avoir choisi la ville de Valence ?

Benoît Jacquot : ” Je voulais une ville qui ne soit pas facilement reconnaissable. Que le spectateur ait, comme le héros, l’impression d’avoir atterri dans une ville inconnue.

La voix off est très particulière, pourquoi choisir ce mode de narration ?

Benoît Jacquot : “Je m’étais dit que ça me plairait bien, j’ai essayé avec ma voix et ça a marché alors je l’ai gardée. Cela ajoute au fait que les personnages soient victimes de leurs destins.”

 Cela fait plusieurs films que vous employez un éclairage assez singulier de lumières chaudes et puissantes, est-ce volontaire ?

Benoît Jacquot : “Ah bon ? Non je ne sais pas. Je choisis tout moi-même : je vais là où on va tourner une scène et puis on essaye tout les éclairages. A un moment je dis stop, c’est ça. “

Le casting est assez célèbre : Benoît Poolvorde, Catherine Deneuve, Charlotte Gainsbourg et Chiara Mastroianni. Comment s’est passé le tournage ?

Benoît Jacquot : “J’avais très envie de tourner avec Charlotte, elle avait une aura qui m’attirait. Quant à Catherine par exemple, elle s’est imposée d’elle-même. Elle a cette maîtrise qui fait qu’elle était presque la réalisatrice. D’ailleurs c’est elle qui a choisi les menus du film. “

Passons maintenant au film.

Un homme rate son train. Il se retrouve alors à boire de l’Evian dans un de ces bars près des gares. Les cernes le creusent, des palpitations l’agitent. Une femme vient acheter des cigarettes. Il la voit, il la suit. Il se présente à elle comme quelqu’un qui aime l’intimité des femmes, qui aime cette soudaine et brutale confrontation. De son côté, elle a des réponses courtes et le regard vague. Ils vont marcher toute la nuit. Ils vont tomber amoureux. Le train de l’homme redémarre, ils vont se revoir : c’est promis. Vendredi aux Tuileries à Paris. Elle l’attend, il ne vient pas. Elle ne le sait pas mais il vient de faire un infarctus. Les mois passent, elle a suivi un homme aux États-Unis et lui a continué sa vie, banale et anxieuse. Puis il rencontre une femme, Sophie. Ils s’aiment. Marc et Sophie emménagent ensemble et décide de se marier. Mais Marc voit en Sophie les expressions d’une femme passée, même phrases même répliques. Puis il y a aussi ce briquet, qu’il avait donné a cette inconnue nocturne. Marc ne comprend pas. Le jour du mariage il y aura la soeur alors, il saura.

Tout le long de film, le spectateur est perdu entre l’histoire, trop dramatique, et le jeu époustouflant des acteurs . Le trio amoureux est une histoire célèbre au cinéma. Benoît Jacquot a fait le choix de le traiter en grande pompe : musique de tragédie grecque et un engluement presque grossier des personnages dans l’histoire. Tout paraît en contraste : l’état de torture des personnages semble avoir voulu être montré par des gros plans sur les visages glissant de portrait en portrait. Alors que la caméra fuit en permanence ce qui entre en accord avec l’histoire, le reste se plaît dans des plans trop propres. Mais si, vous savez : cette composante élémentaire des films numériques et commerciaux, cette netteté qui fait qu’ils se ressemblent tous. Pourtant, au milieu de toutes ces dissonances, 4 acteurs jouent totalement accordés. Catherine Deneuve et sa prestance joue la mère de Sophie. Elle parle peu mais ses répliques sonnent juste. Chiara Mastroianni a la simplicité que son rôle sollicite. Plus discrète, elle est en osmose par son allure et son jeu avec Sophie, son rôle. Quant à Charlotte Gainsbourg, elle joue avec l’évanescence qui lui est propre et emploie une expressivité merveilleusement belle. Benoît Poolvorde se distingue aussi bien que les précédentes. Il est débordé, il est anxieux, il est vulnérable. Son personnage, Marc, est d’une perversité effrayante si bien que le mélodrame devient, grâce à ce jeu démentiel, un thriller.

Pièce montée à tous les plans, 3 coeurs et la rencontre avec Benoît Jacquot, alterne entre superficialité et fausse impression de franchise. Tout semble monté au service de l’illusion. Mais elle n’arrive pas et le rêve non plus.

Merci au Mauvais coton pour son aide au cours de la rencontre.

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