FestivalsMUSIQUE

Un ovni sur le marché de la musique : le dualo

Alors que la musique ne cesse de se réinventer et d’offrir de nouvelles possibilités, notamment grâce à l’évolution du numérique, un nouvel instrument fait son entrée dans le marché de la musique. Baptisé le « dualo », cet ovni mélodique risque de charmer bien des musiciens ! Nous avons rencontré son créateur, Jules Hotrique, mathématicien de profession et musicien à ses heures perdues.

Maze : Nous allons commencer par une petite présentation assez générale et synthétique du projet, de l’instrument et la façon dont vous en êtes arrivé là.

Jules Hotrique : Le dualo est un nouvel instrument de musique de ouf, avec une nouvelle disposition des notes, sur laquelle les gammes et les accords sont représentés par des dessins. Ainsi, c’est un instrument qui est très visuel et qui permet de voir la musique. Autour de ça, on a bâti un instrument, donc un design autour de cette disposition des notes, qui permet de réaliser à peu près tous les fantasmes des musiciens. C’est-à-dire que c’est dans un boitier qui fait 25 cm de haut sur 25 cm de large, qui est tout léger, il fait 1,2 kilo, ça se tient sur le ventre ou sur les genoux. C’est une forme de double clavier avec des touches un peu en nid d’abeille. De loin, par temps de brouillard, ça ressemble un peu à un accordéon. A ceci près qu’il est complètement numérique. Dedans, il y a une centaine de sons, de tous types, ce qui permet de jouer à peu près toutes les musiques. Il y a également un multi-effet, on peut régler les sons, il y a une sortie pour brancher sur un ampli, ou un casque. Et après, y a un séquenceur, ce qui permet de faire des boucles, un peu comme les pédales des guitaristes. Avec cela, ça permet de construire des morceaux entiers en partant de rien, en quelques secondes. Dedans, on a mis des capteurs de force, des capteurs de mouvements. Cela permet de jouer en live de manière assez spectaculaire ! On peut également faire de la composition. Et pour les gens qui n’ont jamais fait de musique, pour les débutants, on a un système de partitions avec des lumières qui s’affichent sur le clavier et qui permet d’apprendre à jouer de cet instrument sans connaître le solfège.

Maze : Cela s’adresse donc autant aux professionnels qu’aux amateurs, et même aux personnes qui souhaitent commencer à apprendre un nouvel instrument ? J’imagine que cela reste un vrai instrument de musique, l’apprentissage ne doit donc pas être très aisé. Cependant, cela évite le solfège, ce qui peut être embarrassant et long et cela peut débloquer une barrière pour l’accès à la musique, non ?

Jules Hotrique  : Au niveau de l’accès à la musique avec le dualo, disons que quelqu’un qui est déjà musicien, qui a déjà le sens du rythme, il va prendre en main l’instrument immédiatement. Quelqu’un qui n’a jamais fait de musique va devoir travailler le rythme mais on peut le guider avec cette méthode qui ressemble un peu à un Guitar Hero. En fait, autour de ça, on a créé un truc qui s’appelle la « communauté dualo », qui est une espèce  de mini-facebook, mais fermé, dédié au dualo, où chaque joueur de dualo a son profil et peut partager ses musiques. Par exemple,  sur mon profil, je peux mettre des musiques de Daft Punk, de Stromae, des choses comme ça. On peut les télécharger, les mettre dans son dualo, et éclairer les touches pour apprendre à le jouer. Donc en gros, pour faire du Daft Punk, on maitrise bien, on met une semaine, mais après pour jouer du Bach, il faut un an, un an et demi. Mais en moyenne, ce que l’on observe, c’est que les gens arrivent à aller sur la scène au bout d’un an de pratique à peu près.

Maze : A quoi ressemble une partition de dualo ?

Jules Hotrique  : Une partition de dualo, c’est un morceau qui a été enregistré avec un dualo ou qui vient d’un fichier MIDI et qui est rentré dans l’instrument par USB, avec un câble. Quand on le met dans un certain mode, les notes s’affichent sur le clavier en fonction de la musique. Les touches s’affichent alors en rouge et il suffit de suivre les touches dès que l’on voit les lumières s’allumer. Donc s’il y a une musique que tu aimes bien, tu chopes un fichier MIDI sur internet, tu l’ouvres avec notre logiciel, tu le mets dans ton dualo et tu joues.

Maze : Y a-t-il création pure ? Au-delà de pouvoir rejouer des musiques que l’on aime bien, peut-on en créer d’autres ?

Jules Hotrique  : Le dualo est un outil parfait pour la composition. D’abord, par son format. Parce qu’un musicien, quand il a une idée musicale dans la tête, il n’est pas toujours dans son studio ou devant son ordinateur. Alors souvent, il y a des musiciens qui ont un dictaphone, ils l’enregistre dessus. Mais bon, c’est des choses qu’on ne réécoute jamais, ça finit toujours dans un tiroir. Avec le dualo, c’est différent. Dès qu’on a une idée, une mélodie dans la tête, on sort l’instrument, on joue. A partir du moment où on enregistre et on fait des boucles, toute la musique jouée reste enregistrée dedans et se partage immédiatement si l’on veut sur l’ordinateur et par internet. En tout cas,  tout reste en mémoire dedans. Et comme c’est un format tout petit, et tout léger, c’est un instrument qu’on peut toujours avoir dans son sac à dos. Donc dès qu’on a une idée, on le sort, on branche le casque et on joue. J’ai envie de jouer, je joue, c’est ça l’idée.

Maze : Le dualo reste un instrument numérique. Le numérique induit bien souvent une certaine fragilité. Qu’en est-il de la résistance de cet instrument ?

Jules Hotrique  : Le dualo, c’est la deuxième saison qu’il fait aux Vieilles Charrues. L’année dernière, il s’est pris une pinte de bière sur le clavier, j’ai continué à jouer, j’avais juste les doigts qui collaient un peu mais c’est résistant. On peut le faire tomber. De toute façon, ça passe la norme CE (« conforme aux exigences », ndlr) et c’est garanti deux ans. Et c’est fabriqué à Brest. C’est du 100 % Made in France. Conception francilienne, pas 100 % bretonne car le synthé est fait en Bourgogne, la plasturgie est réalisée à Nantes, mais tout l’assemblage électronique et le service après-vente est fait à Brest.

Démonstration du dualo par Jules Hotrique au festival des Vieilles Charrues

Démonstration du dualo par Jules Hotrique au festival des Vieilles Charrues

Maze : Est-ce-que vous ne pensez pas qu’on risque de tomber dans une musique un peu facile ? On a quand même une comparaison à Guitar Hero, qui est un jeu-vidéo, mais aussi dans la mesure où l’instrument de musique est également un bel objet. Il y a des métiers comme luthier par exemple. Fabriquer un instrument de musique, c’est un art, c’est du temps. Chaque instrument a quand même un son particulier, et sa composition. Est-ce-qu’on ne va pas perdre de l’authenticité du son ?

Jules Hotrique  : Le dualo, au niveau de la technologie et de la production du son, on a choisi de faire du 100 % numérique. Donc à l’intérieur, ce sont des samples, c’est-à-dire des vrais sons, des vraies guitares, des vraies batteries, des vrais hautbois, des vrais instruments qui ont été enregistrés, samplés, numérisés et mis dedans. Donc c’est un son qui garde une certaine froideur, la froideur du numérique, donc non, il n’y a pas la qualité d’un violoncelle acoustique, certes. Mais bon, quand on écoute MP3… C’est la froideur d’un MP3. Même si on trouve qu’un MP3 c’est froid, on l’écoute quand même. Après sur le côté Guitar Hero, nous ce qu’on dit souvent c’est que c’est un Guitar Hero, oui, mais avec un vrai instrument de musique. C’est simple comme Guitar Hero mais ça produit de la création comme un vrai instrument de musique.

Maze : Au niveau de la conception du projet, de sa mise en place dans son financement, avez-vous été soutenus ?

Jules Hotrique  : A la base, moi je m’appelle Jules Hotrique, je suis mathématicien, musicien et enseignant, et j’ai inventé en 2007, une nouvelle disposition des notes que j’ai appelé le principe dualo. Cela m’a été inspiré à la fois par un instrument qui s’appelle la Senza, qui est un instrument africain, que l’on appelle « piano à pouces » également, et par des recherches mathématiques que j’avais réalisées auparavant sur la représentation de la musique sur un espace géométrique. En 2007, je me réveille une nuit à 4h du matin, en sueur, avec un Eureka « J’ai trouvé une nouvelle disposition des notes » et je me dis « Mais c’est génial, ça va marcher ! ». D’abord, je vais sur internet pour vérifier si ça n’existait pas. Ça n’existait pas. Donc je me suis mis en tête de le réaliser. En 2008, grâce à Internet et Google, je me fabrique mon premier prototype. Moi à l’époque, j’étais juste prof de maths, fanfaron, je faisais de la musique de rue. Je commence donc à apprendre à souder, à coder en C et je fabrique donc mon premier prototype avec mon couteau-suisse dans ma cuisine. En 2009, je dépose un brevet et en 2010, je pars sur les routes et je le montre à un millier de musiciens. Et là les mecs me disent « Putain mais ça défonce, j’en veux un, ça va marcher, développe ! » etc. Alors moi je fais « Ok les gars, on va faire l’instrument du 21ème siècle, du coup, qu’est-ce-que vous voulez ? ». Ils me disent « Ah bah il faut qu’il y ait des sons dedans, qu’il y ait un séquenceur, un multi effet, faut que ça s’apprenne sur mode d’emploi, sans solfège ». Mon travail était de bâtir le cahier des charges de cet instrument pour qu’il soit le plus simple possible, le plus mobile, qu’il fasse tout et qu’il ne soit pas trop cher. Donc avec un pote en 2011, on s’associe, on monte la société, on embauche un électronicien qui vient de Quimper, un programmeur et on commence à développer l’instrument. En 2012, on réalise une quarantaine de prototypes, qu’on vend. Cela nous sert d’abord à nous faire connaître, et ensuite à nous faire un peu d’argent. Donc on lève des sous et on continue à faire des festivals, des concerts etc. Et là il y a des mecs qui commencent à se dire « Moi j’en veux ». Donc je dis « Ok les mecs, achète-le moi maintenant, je lance la production, et je te livre dès que je peux ». On a trouvé cent personnes qui nous ont fait confiance, qui nous ont filé 1000 balles et qui nous ont permis de développer le produit. Là, aujourd’hui, on fait les Vieilles Charrues pour la deuxième année consécutive, très fier d’annoncer que la production est lancée, que c’est fabriqué à Brest, et que ce sera livré en septembre dans les magasins au prix de 990 euros. Actuellement, on prend les préventes sur notre site internet à 890 euros et sur le festival des Vieilles Charrues, on fait le prix Carhaix qui est à 800 euros.

Maze : Donc au niveau des financements, quelles aides avez-vous pu avoir ?

Jules Hotrique  : Il n’y a pas eu de mécènes. Au niveau du financement, les deux fondateurs ont commencé en mettant leurs deniers personnels. Puis ensuite, il y a la famille qui a un peu aidé, puis on est allés taper les subventions. C’est surtout cela qui nous a aidés au début, les subventions publiques : de la banque publique d’investissements, de la région d’Ile de France, qui nous a énormément aidés, et puis plein d’autres financeurs, des associations qui nous aident. En 2013, on a fait une levée de fonds avec plusieurs investisseurs qui participent au projet dualo. On a fait participer quelques banques également, et on a fait une campagne de crowdfunding sur le site kiss kiss bank bank, qui nous a permis de lever 23 000 euros.

Maze : Un seul mot sur l’instrument ?

Jules Hotrique  : Musique.

Journaliste en terre bretonne, je vagabonde entre les pays pour cultiver ma passion de théâtre, de musique et de poivrons (surtout de poivrons). J'essaie tant bien que mal d'éduquer à l'égalité entre les sexes, il paraît qu'on appelle ça le féminisme. J'aime bien les séries télé dans mon canapé et passer des soirées dans les salles obscures. Bref, peut-être ici la seule personne normale.

    You may also like

    More in Festivals