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Rencontre avec Disiz

Quelques heures avant son entrée en scène aux Papillons de Nuit 2014, nous avons pu rencontrer Disiz, rappeur, acteur, écrivain, amoureux de théâtre, anciennement “la peste” et nouvellement (extra)lucide, rencontre avec un rappeur inclassable.

Maze : On a connu Disiz la peste, l’inspecteur Disiz, qui es-tu aujourd’hui ?

Disiz : Je ne peux pas répondre à cette question parce que si j’ai fait autant de choses différentes, c’est parce que je n’ai jamais voulu me définir, en fait. Parce que se définir, c’est se figer, et se figer, c’est s’enfermer. Et autant ne pas faire de musique, autant faire autre chose si c’est pour s’enfermer. J’ai quand même un socle commun, une source commune : j’aime le rap. Mais je refuse à dire « Disiz c’est le rappeur marrant ou le rappeur intello ou le rappeur ceci ou rappeur cela », ça ne m’intéresse pas. Je fais du rap et j’ai besoin d’émotions qui me traversent et j’essaie de le retranscrire du mieux que je peux en fonction des époques que je vis et des époques que je traverse.

Maze : Qui a fait Disiz alors ?

Disiz : Ma chère et tendre maman. C’est la réponse la plus simple que je peux vous donner. Après, je me suis construit de plein de choses, de pas mal de bouquins quand même. J’ai grandi sans père donc je me suis beaucoup construit à travers la littérature, et à travers des figures tutélaires comme Malcolm X, par exemple ou Martin Luther King ou Tolstoï, mais aussi mon quartier, mon environnement, ma famille française en Picardie, ma famille au Sénégal. C’est tout cela qui m’a fait, et puis j’espère d’autres gens et d’autres univers et d’autres choses que je vais rencontrer, qui vont encore épaissir le truc.

Maze : C’était obligatoirement le rap ou ça aurait pu être autre chose ?

Disiz : Ça aurait pu être autre chose, on ne va pas se mentir ; le rap ça n’a pas été un choix. Moi j’ai grandi dans les années 80, dans un quartier défavorisé pour dire une phrase un peu facile, et que c’était difficile d’échapper à cette émergence de cette musique-là dans ces années-là. Peut-être que si j’étais né à Neuilly, j’aurais fait du violon, pour employer un stéréotype. Mais c’est vrai. C’était la seule musique dans laquelle je pouvais me retrouver, vu que les gens qui la faisaient et que je retrouvais dans le prisme de la télé, c’était des mecs comme moi : des mecs de quartier, des mecs bronzés, qui avaient le même argot que moi, la même manière de parler. Donc forcément, effet de catharsis, j’ai voulu faire comme eux. Si j’étais né dans les années 60, j’aurais fait du rythme and blues. Là, c’est le rap. Mais tant mieux ! Je kiffe.

Maze : Trans-lucide, c’est le dernier album de la trilogie. Pourquoi as-tu choisi de décliner ces chansons sur trois albums ?

Disiz : Parce qu’en fait, cette trilogie, elle fait suite à un arrêt. C’est-à-dire que j’avais fait « Disiz The End » il y a six ans, dans lequel je disais que j’arrêtais le rap et j’étais vraiment sincère. J’étais écœuré, je voulais plus du tout faire cette musique-là, pour des problèmes personnels mais aussi parce que j’étais écœuré du système et de l’industrie du disque. Et, je n’avais tout simplement plus envie. Et le fait de m’arrêter, de temporiser, j’ai pu récupérer de la lucidité, j’ai repris mes études, j’ai fait d’autres choses. J’ai fait un disque un peu polymorphe avec des influences rock, électro, punk … J’ai écrit un bouquin. Tout cela m’a permis de temporiser et de récupérer de la lucidité justement, là où avant j’étais écœuré. Vu que je m’étais arrêté, j’avais beaucoup de choses à dire, et je ne pouvais pas le dire dans un disque. Donc je l’ai décliné sur 3 volets : Lucide, Extra-lucide, et Transe-lucide.

Maze : Et justement, quelle est ta définition de la lucidité ?

Disiz : C’est comme en boxe en fait. Moi, je fais de la boxe anglaise. Quand tu prends un K.O, c’est que ton cerveau n’a pas vu le coup venir. Et quand c’est le cas, c’est là où par instinct de sécurité, il coupe tout. Et donc tu tombes. Pour revenir dans le match, il faut que tu récupères de la lucidité, il faut que tu temporises pour comprendre. Et c’est là où tu arrives à récupérer. Et je fais un parallèle aussi avec la dépression. Quand on est dépressif, c’est quand on n’a plus de lucidité, on voit tout en gris. Il y a des gens, ils sont pères de famille, ils ont des enfants, un travail, et ils sont quand même dépressifs. Parce qu’ils voient tout en gris. Normalement, rien que le fait de voir ton enfant le matin, qui rigole et de jouer avec lui, ça devrait déjà être une source de rétablissement. Parce que tu te dis « Je n’ai peut-être pas réussi ma vie à moi, mais je peux réussir sa vie à lui ». Le simple fait de se dire ça, c’est déjà récupérer de la lucidité. Donc voilà pourquoi j’ai choisi la lucidité : essayer de regarder les choses comme elles sont, de me regarder moi comme je suis, autant mes défauts que mes qualités, l’époque à laquelle je vis, et d’essayer d’en parler avec le plus de sincérité possible. Et je ne pouvais pas le dire en un disque. Déjà, pour l’expliquer il me faut au moins dix minutes (rires).

Maze : Est-ce-que tu penses que le rap est toujours aussi représentatif de la société ?

Disiz : Je crois, oui. Je pense que le rap, dès le milieu des années 80, a été représentatif de la société dans laquelle on vit et de l’époque dans laquelle on vit. J’entends souvent les critiques aujourd’hui, le procès qu’on fait au rap, « Ça ne parle que d’argent, argent, argent, argent ». C’est vrai. Moi en tant qu’individu, un discours qui ne parle que d’argent, j’en ai rien à faire. Mais ça, c’est si je regarde individuellement les rappeurs. Mais dans le climat général dans lequel on est, dans le discours dans lequel on est, le monde ne parle que d’argent, le monde n’est fait que d’argent. La crise des subprimes, les phrases de Séguéla « Si t’as pas une rolex à 50 ans… », c’est des phrases de rappeurs ça. Donc je ne pense pas qu’on puisse incriminer, et faire un procès au rap. Le procès qu’on fait au rap, on peut le faire dans tous les différents corps de métier. On est dans un monde où il faut de l’argent. Moi-même j’ai besoin d’argent. C’est juste que le rap, c’est une musique décomplexée qui dit ce qu’elle pense. On peut le déplorer, mais c’est comme ça.

Maze : Et ce choix de rester vivre à Evry, c’est pour garder les pieds sur terre aussi ?

Disiz : Non, ça fait partie de ce que j’appelle le bon lézard syndrome. C’est-à-dire qu’il y a une espèce de mentalité de quartier, de charte tacite quand tu viens d’un quartier populaire, où il ne faut pas quitter le quartier. Parce que quitter le quartier, c’est « T’es plus un vrai ». Alors quand t’as pas de grand-frère et de père pour te dire « Mais ça c’est des conneries, si t’as les moyens de t’échapper de ce panier de crabes, sors du panier de crabes »… Alors voilà, ce n’est pas pour rester ancrer dans la réalité, tu peux déménager et rester ancrer dans la réalité. Après, c’est les choix, la fréquentation que tu as qui fait que … Si du jour au lendemain tu passes de tes bâtiments à traîner qu’avec des gens qui gagnent dix fois plus que toi, là tu vas t’échapper de la réalité. Tu peux très bien déménager et rester dans le même environnement.

Maze : Alors justement, aujourd’hui Disiz est heureux ?

Disiz : Ah oui oui. Moi je suis heureux. Je pense que si je vivais en Afghanistan, je serais moins heureux. Donc déjà je ne vais pas me plaindre là-dessus. Et je vis de ma musique, je suis dans l’un des plus grands festivals de musique aujourd’hui. Qu’est-ce-que je peux demander de plus ? Vendre autant de disques que Stromae ? Ouais, j’aimerais bien. Mais ça après, c’est que du bonus, je vis de ma musique, je vis de ma passion, je ne peux pas me plaindre.

Maze : Tu es passé par le théâtre, tu as écrit des livres, tu fais maintenant de la musique. Est-ce-qu’un jour tu souhaites encore évoluer vers un autre domaine ?

Disiz : Si on regarde de loin, on se dit que je fais plein de choses différentes. Mais pour moi, ce ne sont pas des choses différentes parce que le point commun dans tout ça, c’est l’écriture. C’est-à-dire qu’un rôle, il est écrit avant, un livre, il est écrit avant, une chanson aussi. Et c’est ce qui me fascine, c’est ce que j’aime. Moi, des mots ont changé ma vie, ont une implication dans ma vie. Quand je lis l’autobiographie de Malcolm X par exemple, ce sont des mots, donc c’est sa vie retranscrite avec des mots, et ça a une implication sur ma vie. Pareil pour Tolstoï, Boris Vian. Les mots ont un pouvoir d’hypnose, c’est comme si tu n’étais pas tout à fait le même quand tu es touché par une œuvre, ça t’influence et ça t’inspire. Quand tu lis un livre qui te raconte une histoire d’amour extraordinaire, t’es pas amoureux, t’as envie d’être amoureux. Donc ce que j’aime, c’est l’écriture. Tout part de l’écriture. Si je joue au cinéma, faut que j’ai lu le scénario, et qu’il m’ait chamboulé. Et là, j’ai envie d’incarner le personnage. Pareil, là j’ai joué Othello, c’est extraordinaire. C’est extrêmement dur, c’est la chose la plus dure que j’ai jamais faite de ma vie, mais c’est Shakespeare, ça rigole pas. Les sentiments humains, comment ils sont traités, avec subtilité, c’est trop fort. C’est ce que j’aime.

Maze : Et là, quel est ton état d’esprit avant de monter sur scène ?

Disiz : Je suis content, je suis excité. Hier, j’étais au festival Aucard de Tours et il y avait je ne sais combien de personnes qui m’attendaient, et je suis juste content. J’ai fait des morceaux dans mon petit studio, j’ai imaginé chez moi quand j’étais tout seul, j’ai fait mes morceaux et je me disais « Ah ouais je serai bien quand je ferai ce refrain-là, j’espère que les gens vont l’aimer, qu’on va chanter ensemble ». Et oui, ça marche. BIM. C’est comme un magicien qui prépare son tour chez lui et puis quand il le fait, il voit que ça marche. Ou un mec qui écrit des blagues chez lui et il se dit « Ah ouais je suis sûr qu’elle est drôle celle-là ! » et quand il le fait, les gens rigolent. T’es forcément content, c’est exactement ça. Donc je ne mets rien de négatif dans tout ça. Il n’y a pas de pression, de trac, de je ne-sais-quoi. J’attends ça. J’ai ENVIE de ça. Allons-y !

 

Pour toute tentative de corruption merci de demander la grille tarifaire à la direction.

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