LITTÉRATURE

Pétronille – Amélie Nothomb

Elle nous avait laissé avec un témoignage poignant quand à son Japon natal mais en cette fin août, Amélie Nothomb quitte le ton de la confidence au profit de celui fictionnel avec son roman Pétronille.

Pétronille, quel étrange prénom pour un personnage féminin de roman moderne ! C’est néanmoins sous son égide que l’auteure belge a décidé de placer son 79ème né, tout juste paru aux éditions Albin Michel. Appartenant à une jeune étudiante française de Lettres de 22 ans qui va très vite devenir intime avec l’Amélie du roman, ce prénom laisse supposer plus qu’il n’y paraît au premier abord. De nature indépendante et passionnée, Pétronille voit sa personnalité marquée en filigrane par celle de Pétrone, un écrivain, satiriste et poète de l’antiquité romaine à qui l’on associe communément l’œuvre littéraire considérée comme l’archétype du roman latin, soit le Satyricon. Roman retraçant la vie de deux jeunes homosexuels dans une Rome décadente, le Satyricon c’est aussi l’audace d’un style parodique, mêlant les conditions sociales, les registres de langue, et surtout la désacralisation. En somme, tous ces éléments trouvent en la jeune étudiante leur écho, et la figure de cet écrivain pionnier semble traverser les siècles et changer de sexe pour devenir le temps d’un roman, la compagne de beuverie d’Amélie Nothomb. Compagne ou compagnon, la sexualisation –thème ô combien cher à Amélie Nothomb– de ce personnage laisse elle-même deviner ce glissement, comme en témoigne l’androgynie de cette jeune personne qui sert d’élément d’accroche sur la quatrième de couverture «  Au premier regard, je la trouvai si jeune que je la pris pour un garçon de quinze ans ». Mais qu’importe le sexe, puisque le principal nœud autour duquel s’articule l’intrigue est l’ivresse, la noble, celle obtenue après la dégustation de champagnes de grands crus, censés transporter vers ce qu’Amélie nomme scientifiquement “un état de conscience augmenté“. C’est donc en explorant le panel des sensations et des idées nouvelles fournis par l’ivresse, et non par la rustre et inféconde cuite, que nous retrouvons les deux femmes, respectivement écrivain pour Amélie, et étudiante en master de recherche littéraire pour Pétronille. Issues de deux milieux sociaux et de pays différents, leur unique point d’accointance tient en l’amour inconditionnel de la littérature, ainsi que du champagne. C’est d’ailleurs au cours d’une séance de dédicaces parisienne d’Amélie que ces deux âmes perdues vont se rencontrer après avoir correspondu de manière épistolaire. Commence alors une relation étrange, sorte d’amitié sauvage entre une auteure solitaire assoiffée, et une gamine des rues aux allures de garçon manqué, détestant la bourgeoisie. Sensiblement opposées dans leurs modes de vie, ces femmes vont pourtant apprendre à se connaître et de bouteille en bouteille, à s’apprécier, faisant tomber leurs a priori respectifs.

Jouant encore une fois sur la part de vraisemblance romanesque, Amélie Nothomb prend à témoin son lecteur dans cette aventure explosive, palliée par l’évolution personnelle de la jeune Pétronille qui se révèle elle-même écrivain, avec la publication d’audacieux romans qui ne laisse personne insensible. S’illustrant avec humour dans le genre picaresque, Amélie Nothomb se plaît à mettre en lumière l’envers de ce que peut être la vie d’un auteur méconnu, miséreux mais pourtant pétrit d’idéaux. Passionnée par l’époque élisabéthaine, Pétronille incarne cet anti-héros moderne, ce Marlowe résolument inadapté au XXIème siècle et rebelle au possible. Mais si le fond divertit le lecteur, la forme n’en est pas en reste elle non plus. En effet, l’un des éléments suscitant le plus d’intérêt dans ce roman semi-autobiographique est celui du traitement de la relation unissant l’auteur et sa camarade idéale de beuverie. Au contraire du schéma habituel de dépendance envers le créateur et narrateur tout puissant, le personnage de Pétronille témoigne d’une véritable indépendance et sa liberté d’action redonne sans cesse un souffle nouveau à l’intrigue, permettant de même, une fin de roman assez stupéfiante. Hissées sur un pied d’égalité face à leur aventure, les deux femmes affrontent ainsi les hauts et les bas de leur relation et se livrent tour à tour consciemment à des situations dangereuses. Si Pétronille le fait à son corps défendant en usant de substances étranges ou en provoquant délibérément des situations limites, Nothomb se laisse emporter par l’ivresse d’une histoire non plus seulement racontée, mais vécue. « J’ai beau savoir qu’écrire est dangereux et qu’on y risque sa vie, je m’y laisse toujours prendre. » déclare t-elle alors que son amitié avec l’instable Pétronille prend un tour des plus déconcertant. Prise de risque littéraire qui traverse à la fois l’espace biographique et celui de la fiction, l’effort d’Amélie Nothomb nous conduit dans un espace autre, où les frontières entre les genres n’ont plus réellement leur tenant.

Métisse et exotique, comme le décrit elle-même Amélie Nothomb dans une interview donnée pour Albin Michel en août dernier, ce roman signe un retour réussi aux sources de la fiction. Marquant une incursion dans le paysage et la culture française avec cette amitié improbable, ce voyage littéraire vous permettra de vous évader encore un peu avant de reprendre le chemin des classes ou du travail !

Maître ès lettres. Passionnée par la littérature et les arts | m.roux@mazemag.fr

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