SOCIÉTÉ

“Ne jamais baisser la garde”

Créée en 1984 par Daniel Defert après la mort de son compagnon Michel Foucault, l’association AIDES est le principal organisme français engagé dans la lutte contre le virus du sida. Parce que l’épidémie est toujours réelle en France, Maze a voulu donner la parole à ceux qui agissent au quotidien. Antoine Henry, un responsable de l’association, a répondu à nos questions.

Maze : Quel état des lieux pouvons-nous dresser de la situation en France ?

Antoine Henry : En France comme dans beaucoup de pays du Nord, on a tendance à croire que l’épidémie est terminée, alors qu’elle est toujours très active chez certaines populations, comme les homosexuels masculins ou les migrants venus d’Afrique subsaharienne. Il y a depuis quelques années un déficit d’information sur le sida, voire même un recul de l’information.

Maze : Quels sont les chiffres à retenir ?

A.H. : C’est compliqué d’évaluer le nombre de décès liés au sida, car heureusement en France les malades atteignent rarement le stade sida. On estime à 150’000 le nombre de séropositifs dans notre pays. La plupart sont suivis, mais 30’000 personnes, soit 20 % du nombre de séropositifs, ignorent encore être porteurs du virus. C’est ce qu’on appelle l’épidémie cachée. Ces personnes peuvent donc continuer malgré elles à transmettre le virus.

Maze : Que doit-on faire pour voir ces chiffres diminuer ?

A. H. : Deux choses complémentaires : rappeler la protection, et le préservatif en premier lieu, et intensifier le dépistage. Cela permettra de préserver la santé des personnes, et d’éviter de nouvelles contaminations. C’est difficile individuellement de penser toujours et dans toutes les situations à mettre un préservatif. Alors qu’au niveau collectif, si on permet un accès le plus large possible au dépistage, il y a un effet de défense collective.

Grâce au traitement, une personne séropositive n’est plus contaminante au bout de six mois. Si l’on parvenait à dépister tous les séropositifs qui s’ignorent et à leur proposer un traitement, on casserait la chaîne de contamination, jusqu’à entrevoir la fin de l’épidémie en 20 ou 30 ans.

Maze : Quelles sont les campagnes de prévention de AIDES ?

A. H. : Nous faisons deux grosses campagnes par an. Une sur le dépistage, et une sur la protection. Notre campagne de rentrée en septembre sera sur le préservatif. Ensuite, au niveau local, on intervient sur les populations cibles. Il faut bien sûr parler au grand public, et ensuite avoir des campagnes envers les populations les plus concernées. Cette année, nous avons également réalisé une campagne vidéo, baptisée Woody.

Nous menons aussi quotidiennement des actions de dépistage rapide, qui consiste en une petite piqûre au bout du doigt. Les résultats sont là en dix minutes, et sont très fiables. On a réalisé 50’000 tests l’année dernière sur tout le territoire

Maze : Sentez-vous les jeunes plus concernés que les autres sur le sujet ?

A. H. : Chez la jeunesse en général, il y a un intérêt et une sensibilisation. Mais est-ce que cela se retrouve dans les comportements ? Le sida ne se voit plus dans l’espace public, et c’est notamment dû au traitement qui fonctionne très bien. Du coup beaucoup d’idées reçues circulent : il y a ceux qui pensent encore que sida = mort, et ceux qui sont persuadés que « ça se guérit ». Il y a encore un gros travail d’information et de sensibilisation à faire. Qu’est ce qu’être séropositif ? Les gens ont une certaine image de la maladie, qui est aujourd’hui obsolète. Il faut également continuer d’informer sur les modes de transmission. C’est aussi la responsabilité des pouvoirs publics.

Maze : Quel message voudriez-faire passer à la nouvelle génération ?

A. H. : Vous avez été bercés par les campagnes d’information et de sensibilisation. Il ne faut jamais baisser la garde, toujours rester vigilant. Des solutions de dépistage faciles existent, et il faut s’en saisir.

Maze : Vous parliez du traitement. A quel point est-il efficace ?

A. H. : Une personne séropositive dépistée tôt et placée sous traitement aura la même espérance de vie qu’un séronégatif. D’où l’intérêt du dépistage. Mais si on peut vivre quasiment normalement avec le VIH, les traitements restent lourds et à vie. La science a tout de même fait de grands progrès : il y a 15 ans il fallait prendre plus de 20 comprimés par jour. Aujourd’hui il s’agit le plus souvent de deux prises quotidiennes. Ensuite être bien physiquement c’est une chose, mais les contraintes de la maladie se transposent aussi dans le contexte social. Comment parler de sa maladie à son entourage familial ou professionnel sans ressentir du rejet ? Le sida génère encore beaucoup de discriminations.

Maze : Les recherches actuelles permettent-elles d’espérer bientôt un vaccin, ou une destruction totale du virus dans l’organisme ?

A. H. : Des pistes encourageantes ont été présentées à Melbourne, lors de la grande conférence internationale sur le sida de juillet dernier. Mais aucune ne permet d’entrevoir l’arrivée d’un vaccin sur les cinq années à venir. Il faut être très prudent car tous les ans, on entend deux ou trois annonces prédisant le remède miracle. Cela ne fait que donner de faux espoirs aux malades. Nous sommes très précautionneux vis-à-vis de cela.

Maze : Que faut-il retenir de la grande conférence internationale de Melbourne ?

A. H. : D’abord, que les progrès considérables qui ont été faits nous permettent d’entrevoir la fin de l’épidémie. Mais ne crions pas victoire trop vite : l’épidémie ne recule pas. Elle avance juste moins vite. Il y a toujours 1,5 million de morts du sida tous les ans. C’est pour cela qu’il faut intensifier l’accès au dépistage et aux traitements, notamment dans les pays du Sud. Cela permettra une baisse drastique des nouvelles contaminations et du nombre de décès. Le message fort de la conférence de Melbourne, c’est que nous n’avons jamais été aussi près du but. Aussi, il ne faut pas baisser la garde.

Maze : Qu’en est-il du droit des personnes séropositives dans le monde ?

A. H. : Prenons un exemple, celui de la Russie.  La Russie a vu son nombre de séropositifs multiplier par dix ces dernières années, en raison de politiques répressives à l’égard des usagers de drogues. Il ne peut pas y avoir de recul de la maladie sans faire avancer les droits des personnes. Les usagers de drogues, les homosexuels masculins en Afrique sont discriminés, marginalisés, il y a même une criminalisation des homosexuels dans encore quarante pays d’Afrique. Ces lois liberticides font le lit de l’épidémie.

Maze : Pour finir, quelle synthèse peut-on faire de la situation de l’épidémie de sida dans le monde ?

A. H . : Sur 35 millions de malades dans le monde, on estime que 19 millions, soit plus de la moitié, ne se savent pas séropositifs. Cette ignorance les empêche de pouvoir bénéficier du traitement qui pourrait à la fois sauver leur vie et leur éviter de transmettre le virus. Si l’on veut mettre fin à la pandémie, il faut élargir considérablement l’accès au dépistage et au traitement dans les pays du Sud, particulièrement en Afrique. Pour cela il faut davantage de moyens, notamment pour financer un meilleur accès au traitement. Enfin, il faut du courage et de la volonté politique, pour en finir avec les tabous et les discriminations qui éloignent la population du dépistage et des soins.

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