Une sorcière, des vampires, un grand manoir, des portes qui grincent, des tombes, du brouillard, des violons et du hautbois – le tout en Moldavie ! Une recette bien connue qui a donné naissance à de nombreux classiques du cinéma d’épouvante. Pourtant, le cinéaste italien Mario Bava semble être aujourd’hui un peu oublié du grand public.
Mario Bava est connu pour ses films d’épouvantes et notamment pour son génialissime moyen-métrage Les trois visages de la peur (1963). C’est en 1960 qu’il réalise Le Masque du Démon et je vous propose de le découvrir ou de le re-découvrir. Commençons d’abord par évoquer la bande annonce du film. Aujourd’hui encore, ce teaser est effrayant mais vraisemblablement pas pour les bonnes raisons ! Les mots clés ”l’horreur, l’angoisse, la terreur” qui apparaissent au début provoquent même, chez une majorité de personnes, la formation d’un léger sourire en coin. Mais plutôt que de se moquer d’une apparence et d’une esthétique désuète, adoptons une autre attitude. Une attitude qui nous permettra d’apprécier ce film et de réaliser qu’il s’agit même d’un petit chef d’œuvre ! Pour cela, il faut tenter de s’extraire un instant des codes cinématographiques habituels de notre époque, et de remettre le film dans son contexte. Ainsi nous allons pouvoir l’apprécier et peut être même frissonner.
Le masque du démon est l’histoire de la vengeance d’un couple, la princesse Asa Vajda et Igor Iavoutich, qui avaient été exécutés par l’Inquisition au XVIIème siècle pour leur pratique présumée de la sorcellerie. On est donc déjà face à un paradoxe : comment des morts peuvent-ils se venger ? En fait, ils leur suffit de tout simplement ressusciter. Ainsi tout le long du film, le spectateur hésite entre les thèmes des sorcières, des zombies, et des vampires. En réalité, la voix off qui ouvre le film parle de vampire : ”Au XVIIeme siècle se déchaina, violente et sans merci, la lutte contre ces êtres monstrueux et assoiffés de sang que les chroniques du temps nommaient : vampire. Le frère avait le courage d’accuser son frère. Le père son fils. […]” (la version originale en anglais parle également de vampires donc écartons tout de suite la piste de l’erreur de doublage). Honnêtement je pense qu’il s’agit de vampires ET de sorcières ; une sorte de croisement quoi ; chose très originale et peut être même unique ! Mais peu importe. Le film s’ouvre sur un très beau travelling révélant l’exécution du couple maléfique. Là-dessus, s’ajoute le son de feu qui crépite, la B.O. et la fameuse voix off qui nous explique aimablement l’état d’esprit des gens de l’époque face à la sorcellerie. Lorsque l’inquisiteur prononce la sentence, le bourreau ramasse le fameux masque du démon et se dirige vers la caméra. Le plan est alors subjectivé et nous sommes ainsi à la place de la présumée sorcière (cf Figure 1). Notez donc ce premier procédé horrifique de Bava. Rendez vous compte : cela ne fait que 2 minutes que le film a commencé et le spectateur est déjà condamné à mort ; Bava vous exécute à l’aide du masque du démon ! Asa Vajda maudit alors l’inquisiteur et sa descendance entière, l’orage éclate, le bourreau cloue le masque du démon sur le visage d’Asa et la séquence d’exposition est finie, nous laissant terrifiés et excités face à la malédiction d’Asa !
Je ne vais pas spoiler entièrement le film ni le réécrire ici car ce serait quelque peu stupide. Mais j’aimerais, avec cet article, vous donner envie de voir ce film et plus encore de découvrir Mario Bava. Car ce film ne constitue pas vraiment une synthèse de l’œuvre entière du cinéaste, mais il semble poser des bases que Bava va réutiliser tout au long de sa carrière. Et plus encore, ce film est typique de son temps, de son genre, et de son lieu de réalisation : l’Italie. En effet, à cette époque en Italie apparaît le film d’horreur italien. Ce type de film est alors un sous-genre du cinéma d’épouvante, car ces films possèdent leurs propres codes, leurs propres techniques de réalisation etc.. Il y a par exemple quelque chose de typique dans le cinéma italien de cette époque qui est la post-synchronisation. Sur les tournages, les acteurs ne parlaient pas tous toujours la même langue, et ne parlaient pas tous italien. Pour cela et pour des raisons également économiques, s’est développée la post-synchronisation qui consiste à tourner le film sans son. Le son est ensuite recrée en studio et cela donne une patte différente aux films. Je vous conseille alors de voir le film Berberian Sound Studio (cf affiche) de Peter Strickland (2012) pour mieux comprendre comment les films d’épouvante italiens étaient faits. Ainsi en plus d’être un film typique de Bava, c’est un film typique de son genre. En fait, il y a deux grands noms notables pour ce genre : Mario Bava et Dario Argento qui a notamment réalisé l’excellentissime Suspiria.
Vous ne connaissiez pas Mario Bava avant la lecture de ces quelques lignes ? Eh bien ne soyez pas effrayés par le noir et blanc mais bien par l’horreur de ses films. Je ne promets en aucun cas que vous allez être terrifiés, mais j’espère que vous saurez apprécier ses films car ce sont vraiment de petits bijoux.
Enfin, derrière Berberian sound studio, se cache une histoire angoissante, ainsi que de nombreuses réponses à vos questions concernant le son au cinéma ; et certaines des réponses sont, pour le moins étonnantes (mais bien réelles) !