Madame Bovary, Comment passer à côté de ce chef d’œuvre du réalisme de Gustave Flaubert paru en 1857 ? Il inspira peintres, réalisateurs et son héroïne est même à l’origine d’un mot BOVARYSME. A l’occasion de la sortie, le 10 septembre, du film Gemma Bovery de Anne Fontaine, librement inspiré du roman de Flaubert, avec Gemma Arterton et Fabrice Luchini, revenons sur cette merveille littéraire du XIXème siècle.
Du fait divers au roman
Pour son intrigue, Flaubert s’inspire d’un fait divers : en 1848, en Normandie, Delphine Delamare, épouse d’un officier de santé, s’empoisonne après avoir accumulé les dettes et les amants. L’écrivain se saisit de ce sujet et cherche à comprendre, à travers son héroïne Emma Bovary, les raisons d’un telle déchéance. Le roman s’ouvre sur l’enfance du petit Charles Bovary puis sur ses études de médecine marquées par l’omniprésence de sa mère. Devenu médecin, il rencontre la jeune et belle Emma Rouault alors qu’il soigne son père. Très vite, il demande sa main, l’épouse, et les jeunes mariés emménagent ensemble à Tostes. Très vite, Emma s’ennuie de cette vie monotone, les efforts de Charles, leur déménagement dans la petite ville de Yonville-l’Abbaye et la naissance de leur fille Berthe ne suffit pas à redonner la joie de vivre à Emma qui tombe de nouveau dans sa lassitude. Elle vivra une première aventure passionnée avec Rodolphe Boulanger, châtelain et séducteur invétéré qui finit par se lasser de la jeune femme et la quitte. De nouveau, Emma se laisse envahir par le désespoir et l’ennui. Charles, aveugle et éperdument amoureux, décide de l’emmener au théâtre à Rouen pour la changer d’air. Dans cette ville qui l’émerveille, elle connaîtra une deuxième liaison avec Léon, l’ancien clerc du notaire de Yonville. Emma s’endette, elle dépense sans compter, ne se refuse rien et se rend aussi souvent qu’elle le peut à Rouen. Ce train de vie la conduit à sa perte, bientôt prise au piège par son créancier, elle choisit de se suicider, laissant son mari et sa fille, seuls et endeuillés.
Charles Bovary, la victime
Dès les premières pages du roman, le jeune Charles Bovary apparaît comme la risée de tous ses camarades. Cette médiocrité ne le quittera pas de toute l’intrigue. Tour à tour victime de sa mère, de sa femme, de ses voisins et même du narrateur, Charles incarne à lui seul la vacuité de l’existence qui ronge Emma. Aveugle devant les infidélités de son épouse, soumis à l’autorité d’une mère envahissante et incapable de gérer ses affaires, Charles Bovary est un éternel raté. Jugé très sévèrement à travers les points de vue successifs du narrateur ou d’Emma, il suscite chez le lecteur exaspération et pitié. En effet, son seul tord et d’aimer éperdument une femme qu’il ne peut guérir d’une maladie bien étrange et pourtant si commune : le bovarysme.
Mais quel est donc ce mal qui frappe la belle et jeune Emma, cet état d’éternelle insatisfaction et de langueur extrême, ce bovarysme ? Pour comprendre ce mal, il faut connaître le parcours de la jeune femme. Emma Rouault a reçu son éducation dans un couvent. Elle profitait de ses nombreuses lectures pour laisser libre cours à son imagination débordante. Incorrigible romantique, elle voyait le mariage comme un conte de fées et s’exalte pour un décor de pièce montée ou pour une salle de bal éclairée. C’est cette adolescente romanesque que Flaubert va jeter sans ménagement contre le mur de la réalité. A travers la vie conjugale, Emma Bovary découvre le vide de l’existence et l’ennui de la province du XXème siècle. Finalement, Emma incarne l’éternelle rêveuse qui se réveille soudain d’un très long sommeil. Finalement, chacun connaît cette forme légère du bovarysme qu’est la déception. Emma Rouault, l’éternelle rêveuse et devenue Madame Bovary, l’éternelle déçue. Flaubert semble avoir placé en son héroïne ce qu’il appelait lui-même son “cancer du lyrisme”. Grâce à elle, et à ce regard romanesque qu’elle jette sur le monde qui l’entoure, l’écrivain dépeint une réalité tristement réaliste et atteint ainsi l’idéal que tant de réalistes ont recherché.

Gustave Flaubert dissèque Madame Bovary dessin de Achille Lemot, 1869/Droits Réservés
Le chef-d’œuvre du réalisme
Le roman Madame Bovary réunit, en effet, toutes les conditions pour figurer au rang des plus grandes œuvres réalistes du XXème siècle. L’intrigue est inspirée d’un fait divers, et quel fait divers ? Une histoire d’adultère en province. Pour Baudelaire, Flaubert place son roman dans “le milieu le plus stupide, le plus productif en absurdités, le plus abondant en imbéciles intolérants” : la province, et utilise “la donnée la plus usée” : l’adultère. Par ailleurs l’ouvrage de Flaubert est, comme l’ensemble de son travail, rigoureusement documenté. L’exactitude des termes et des situations, la volonté de détails sont renforcés par la connaissance du monde médical qu’il tient de son père médecin. Enfin, l’auteur ne laisse à son lecteur aucun moment de répit, sans cesse, il étouffe la moindre étincelle romanesque d’une triste réalité. Ainsi, alors que Charles Bovary fait ses adieux à son épouse chérie qui lui semble encore si belle étendue, morte sur le lit, Flaubert écrase le sentimentalisme de la scène en décrivant un liquide noir qui s’échappe soudainement de la bouche de la défunte.
Les amateurs de contes de fées et de happy ends devront probablement s’abstenir. On ressort de ce roman comme vidé, recherchant un sens à l’existence. Et pourtant, on ne peut que reconnaître le génie d’un Flaubert qui parvient ici à coucher sur papier la réalité dans ses plus noirs canulars, dans sa plus grande absurdité.