SOCIÉTÉ

Haro sur la réforme pénale !

Vivement critiquée par la droite, vent debout contre une réforme qu’elle juge laxiste, la réforme pénale proposée par la garde des Sceaux, Christiane Taubira, fait en ce moment la navette au Parlement, entre l’Assemblée Nationale et le Sénat. Les débats sont enflammés, le sujet cristallisant toutes les oppositions politiques.

Adopté en première lecture à l’Assemblée le 10 juin dernier, amendé par la commission des Lois du Sénat qui a redonné plus d’ambition au texte… Le projet de loi portant sur « la prévention de la récidive et l’individualisation des peines » porté par Christiane Taubira suscite tout autant l’unanimité de la gauche que le rejet massif de la droite. Le gouvernement Valls est, comme d’habitude serait-on tenté de dire, taxé de laxiste par l’opposition, vieille rengaine utilisé régulièrement pour discréditer l’action des socialistes concernant tout ce qui relève de la sécurité publique.

A l’origine de cette loi, les conclusions de la Conférence sur la prévention de la récidive réunie en février 2013 à l’initiative de la garde des Sceaux, rassemblant des experts du monde judiciaire. Ces conclusions ont inspiré le gouvernement pour concocter cette réforme pénale. Une conférence qui fût l’occasion de poser un constat simple : pour les infractions mineures, une peine de probation en liberté vaut mieux qu’une peine exécutée en milieu fermé, qui favorise la récidive.

Bref, la réforme souhaite trancher dans son esprit avec la politique tout-sécuritaire menée pendant 10 ans par Nicolas Sarkozy, depuis son passage au ministère de l’Intérieur jusqu’à son arrivée à l’Élysée. Pour paraphraser la fameuse phrase de l’ancien Premier Ministre, Lionel Jospin, «  la prison ne peut pas tout  ». Une administration pénitentiaire qui est, de plus, en limite de surchauffe avec une surpopulation en détention atteignant des records : en 2013, on dénombrait près de 69 000 détenus pour 57 000 places dans les prisons françaises, qui plus est pas toujours dignes de ce que l’on pourrait attendre du pays des Droits de l’Homme.

La contrainte pénale : la mesure la plus emblématique… et la plus contestée

Faire de la contrainte pénale la peine principale pour certains délits : c’est la disposition phare du texte. Le vol sans usage d’armes à feu, la conduite en état d’ivresse ou bien l’usage de stupéfiants ne seraient plus passibles d’enfermement. En somme, tous les délits pouvant amener à une peine de prison de moins de 5 ans seront concernés, à partir du 1er janvier 2017. Mais les atteintes aux personnes en sont exclues. Des délits qui jusqu’alors, représenterait chaque année, selon le rapporteur PS du texte au Sénat, Jean-Pierre Michel, près de 50 000 condamnations à des peines de prison ferme ou avec sursis !

A la répression, la réforme pénale portée par la garde des Sceaux privilégie le suivi et la réinsertion. Elle mise sur un suivi accru en milieu ouvert, notamment par un accompagnement socio-éducatif individualisé de chaque condamné, sous le contrôle d’un juge d’application des peines. Selon l’étude d’impact, 8’000 à 20’000 contraintes pénales devraient être prononcées chaque année, pouvant s’appliquer pour une durée allant de six mois à cinq ans.

Cette disposition est aussi la plus controversée, accusée «  de remettre en cause l’équilibre des peines et le principe de la prison  » selon le député UMP Jean-Frédéric Poisson ou bien d’être un signal négatif qui serait « interprétée par les délinquants comme un signal de faiblesse » pour Georges Fenech, autre député UMP. La gauche réplique que le taux de récidive a presque doublé sous les années Sarkozy.

Plus globalement, ce sont deux conceptions de la rétention qui s’affrontent. La droite la voit comme une suite logique pour un délinquant qui ne s’est pas amendé par le fait de multiples dispositions préalables prises à son encontre (sursis simple, travail d’intérêt général…) ; alors que pour la gauche, la prison a de plus fortes chances qu’une peine en milieu ouvert d’alimenter le processus de récidive chez un condamné. Comme l’a résumé Christiane Taubira, « le caractère criminogène de la prison est bien réel ».

La (ré)affirmation de l’individualisation des peines

La réforme Taubira détricote aussi plusieurs mesures emblématiques prises sous Nicolas Sarkozy. D’abord, il en est ainsi pour les tribunaux correctionnels pour mineurs, instaurés dans le but d’appliquer une plus grande sévérité à leur encontre et de se montrer plus solennel. Peine perdue… En plus d’être jugé inutile, cela a contribué à désorganiser encore un peu plus des institutions judiciaires en limite de rupture.

Le glas des peines planchers a aussi sonné avec cette nouvelle loi. L’idée était d’instaurer des peines minimales pour les récidivistes. Mais les magistrats pouvaient éviter cette mesure en la motivant lors de l’audience, une exception dont ils ont fait largement usage, hostiles à cette disposition qui s’est avérée en dernier ressort contre-productive. Au lieu de s’appliquer en premier lieu aux condamnations lourdes, elles ont eu comme conséquence première de servir dans la condamnation de délits mineurs, venant alourdir des peines de manière inconsidérée dans des cas où cela ne se révélait pas impératif.

Accompagner pour réinsérer dans la société

L’un des objets de cette réforme est par ailleurs d’améliorer le retour en liberté des détenus. En effet, environ 80 % des condamnations se soldent par des « sorties sèches », c’est-à-dire sans qu’aucun suivi ni accompagnement ne soit proposé – c’est le cas de 98 % des peines de moins de six mois. « Or le taux de récidive est deux fois plus élevé dans le cadre de sorties “sèches” que dans le cadre d’un aménagement de peine. Sans logement, sans RSA [Revenu de Solidarité Active], sans carte Vitale, complètement démunis, les libérés récidivent, leurs seuls réseaux étant ceux qu’ils ont côtoyés avant le délit qui les a conduits en prison… et ceux qu’ils ont rencontrés en prison même ! », argumente Esther Benbassa, sénatrice Europe-Ecologie Les-Verts (EELV) du Val-de-Marne.

Pour lutter contre cet état de fait, la situation des détenus sera évaluée aux deux tiers de leur peine. Selon le parcours en détention et le projet d’insertion souhaité, une “libération sous contrainte” pourra éventuellement être décidée par le juge d’application des peines, comportant des mesures de restriction, d’obligation et/ou de surveillance.

Mais bien sûr, qui dit contrainte pénale et libération sous contrainte dit plus de moyens. Et qui dit plus de moyens dit plus de personnels. C’est ainsi que 40 postes de Juges d’application des peines (Jap) vont être crées, ainsi que 1 000 postes de Conseillers d’Insertion et de Probation, permettant de répondre à ces missions supplémentaires.

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