CINÉMA

Maps to the Stars – FREAKS

Dans sa baignoire blanche et scintillante, le fantôme de la mère d’Havana se recoiffe et lâche à sa fille paniquée « L’enfer, tu sais ce que c’est ? C’est un monde sans drogues ». Maps to the stars, couronné le mois dernier à Cannes pour l’interprétation de Julianne Moore, explore les méandres névrotiques de l’univers d’Hollywood et de ses composants à l’instabilité cruelle. Cette cartographie stellaire de David Cronenberg, rappelant le Muholland Drive de David Lynch, dresse le portrait des vedettes qui meurent consumées et de celles qui naissent sous milles feux.

L’insolence, la clinquance, la prétention, le pouvoir de l’argent, voilà ce qui nous attaque l’épiderme dès les premières secondes. Du très jeune acteur Benjie Weiss (Evan Bird) qui a déjà tout d’un mégalomane blasé par la vie à seulement treize ans à l’actrice névrosée Havana s’accrochant au système du bout de ses griffes interprétée par Julianne Moore, la nébuleuse du ciné-showbiz est déjà terrifiante et insupportable. Autour de ces célébrités gravitent d’autres éléments qui alimentent et vivent du système, comme le père de Benjie (John Cusack), célèbre coach personnel de star, se souciant uniquement des gloires familiales ; la mère du jeune effronté, en gestionnaire de la propre fortune de son fils, est aussi un engrenage important de cette machine à rêve que les jeunes veulent intégrer à tout prix. Cette jeunesse souhaitant briller s’incarne à travers deux personnages. Les deux rangent les sacs des plus grands égos de la ville dans des coffres de voitures trop brillantes ; le premier est chauffeur de taxi-scénariste-acteur interprété par l’impeccable Robert Pattinson. Il verra sa pureté d’ambition et ses espoirs de gloire se briser au contact de la perversion du milieu, encore à l’arrière d’une voiture, comme en écho au film précédent du cinéaste, Cosmopolis. La seconde est jeune et dérangeante ; Mia Wasikowska s’est glissée comme dans un gant dans le personnage d’Agatha dont le passé, présent dans un hors champ narratif resurgit uniquement à travers les cicatrices de son visage marqué à jamais. Servie par une mise en scène et une construction narrative minimaliste et efficace, Cronenberg établit parfaitement le diagnostic alertant de chaque protagoniste, Hollywood serait-il un mécanisme implacable de la fabrique à rêve devant nécessairement auto détruire quelques-uns de ses composants pour se renouveler ? Cronenberg acquiesce. Aveuglé par la lumière des projecteurs, chacun sombre peu à peu dans cette poursuite absurde et infernale de la célébrité et tombe dans le piège creusé par un égo démesuré.
Toujours aussi friand d’intrigues où l’obsession est maître mot, le cinéaste canadien crée le trouble dans l’esprit du spectateur en construisant des personnages aliénés par leur soif de reconnaissance et rongés par leurs angoisses. En contrepied à ce sentiment et pour accentuer notre position de voyeuriste gêné, il aime désacraliser ces égos surdimensionnés en usant d’un anti-glamour tordant dans le même registre qu’une certaine « prostate asymétrique » dans Cosmopolis. Aussi, l’humour scatophile orne de nombreux dialogues, participant à une réelle démystification du star-system.  Mais le rire s’éteint vite lorsque l’œuvre réapparaît comme possédée d’un poème de Paul Eluard hantant les personnages de Maps to the stars :

« Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J’écris ton nom […]
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté. »

Maps to the Stars - David Cronenberg

Maps to the Stars – David Cronenberg

Ces obsessions donnent à cette escalade de violence absolument fatale et nécessaire au film une dimension de virus inodore et incolore. Ici, les personnages cronenbergiens sont dans la réaction plutôt que dans l’action comme ceux du film de Jia Zhang Ke, A touch of sin. Guidés par un nombrilisme, entre crise de nerfs et hallucinations, les personnages s’imposent tels des caricatures d’eux même évoluant dans ce microcosme corrompu et malsain. La satire de Cronenberg nous révèle que celui qui veut réussir n’est pas à l’abri de la perversion du milieu, il est peut-être même obligé de la subir. Le cinéaste met du sel sur la plaie de l’individualisme de ses personnages en les filmant essentiellement seuls dans le cadre. Le thème du lien incestueux revient pourtant régulièrement ; à l’instar des étoiles, chacun vit de son côté mais reste dépendant des autres. Le film, faisant une nouvelle fois de David Cronenberg un cinéaste-psychiatre, offre alors une double lecture par effet de miroir ; les intimités reflètent certaines dimensions du système hollywoodien. Si Los Angeles est la baie des anges, Hollywood est celle des anges déchus, transformés en monstres. Dans un apaisement ultime de l’âme, ces étoiles admirées contemplent les astres et le vide qui les entourent, errant comme des météores à la recherche de la liberté.

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