Mike va découvrir petit à petit, dans la promiscuité des cabines de douches des thermes où il travaille, ce qu’est le corps, tant sous une facette repoussante que sous une facette attirante ; en le répugnant tout d’abord , dans sa candeur adolescente, via une vieille cliente, prête à monnayer ne serait ce que pour imaginer le corps d’éphèbe du jeune Mike – puis en le désirant, avec sa collègue Susan, beaucoup plus expérimentée que lui, et qui lui servira de mentor tant professionnellement que sentimentalement ou sexuellement.
Deep End se lance alors dans un pari relativement risqué : celui de montrer sans toutefois influencer, d’afficher sans cependant façonner, ou laisser sous-entendre… Mais le pari est réussi, car la caméra de Skolimowski dépeint les états d’âme des personnages avec une légèreté incroyable et nous fait appréhender l’évolution du jeune adolescent, un Julien Sorel des temps modernes (Le Rouge et le Noir, Stendhal, 1830), qui entre dans un milieu adulte auquel il n’était pas préparé. Deux mondes s’opposent : celui de la nuit, de la crasse, des prostituées, et celui de l’enfance, de la poésie, et de l’amour. Le jeune Mike, empli de sensiblerie au début de l’œuvre, finit « comme tous les autres », à éprouver un désir libidineux, et abandonne sa morale pour ne plus souffrir. Via la dégringolade de Mike dans « l’horreur » de la vie, Skolimowski peint une société sombre, du directeur de piscine aux mains baladeuses, aux proxénètes les plus crapuleux.
Deep End est un constat cinématographique amer sur la vérité des choses, sur la matérialisation croissante du sexe, sur la perte des rêves, sur la candeur des sentiments et sur le voyeurisme du quotidien, dans lequel le désir entraîne le désir – comme en constate notamment la scène au cinéma.
Mais qui parle de voyeurisme parle également d’image, et c’est là l’un des plus grands atouts de Deep End : son esthétisme. Avec notamment un traitement des couleurs et de la lumière des plus impressionnants, Skolimowski joue avec l’époque, en mettant en contraste la noirceur londonienne et les murs de la piscine, expliquant lui-même avoir voulu donner un « double versant réaliste et onirique ». Dans Deep End, les formes s’entremêlent, les couleurs se mélangent pour mieux se démarquer, et les contrastes se forment. Des murs verts repeints en rouge – coloris prédominant du film, représentation chromatique de la mort mais aussi de l’énergie de la jeunesse – aux cheveux de Suzanne, c’est tout un travail sur la dualité entre la piscine et l’extérieur que le réalisateur réalise. Il met en opposition les teintes quasi impressionnistes des thermes et les couleurs sombres et glauques des bas fonds de Londres que fréquente Susan. Susan est d’ailleurs elle-même mise en abyme, via la pancarte « publicitaire » qu’emporte Mike par désespoir de ne pouvoir la posséder, « femme-objet » par excellence, aboutissement total du film…
Représentation à un instant T de son époque, Deep End est une œuvre picturale et cinématographique qui offre au spectateur une heure et demie de pure beauté en peignant les déchirures et les déceptions adolescentes. A chacun d’y trouver – ou non – une source d’émerveillement.