LITTÉRATURE

Une princesse classique : La Belle et la Bête de Madame de Villeneuve

Le mois prochain, le film La Belle et la Bête de Christophe Gans, avec Léa Seydoux dans les robes d’une des plus célèbres princesses de contes de fées, sortira en DVD. Un conte universel qui a marqué notre histoire cinématographique bien plus que littéraire. La Belle reste dans notre imaginaire collectif sous les traits de Josette Day dans le film de Cocteau ou de la princesse brune de Disney. Cependant, avant d’être sur nos écrans La Belle et la Bête est d’encre. Retour sur l’origine méconnue d’un conte populaire.

Madame de Villeneuve, une romancière de l’ombre.

Née Gabrielle-Suzanne Barbot à La Rochelle en 1685, Madame de Villeneuve est celle qui composa, au XVIIIème siècle, la première version moderne de La Belle et la Bête. De sa vie, on sait très peu de choses hormis qu’elle fut mariée au seigneur de Villeneuve avec lequel elle eut une fille, Marie Louise Suzanne. Elle se lance dans l’écriture assez tard : son premier livre,  Le Phœnix conjugal, nouvelle du temps, est publié en 1734 alors qu’elle a quarante-neuf ans. La plupart de ses romans sont parus anonymement, signés “par Madame de V***” voire même  “par M. D. V***”. Ses ouvrages comme La jeune Américaine et les contes marins (1740) ou La jardinière de Vincennes (1753) comptent parmi les plus célèbres.

La véritable histoire.

Le conte la Belle et la Bête apparaît pour la première fois en France dans le livre de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve, La jeune Américaine et les contes marins. Cependant, c’est la version abrégée de Madame Leprince de Beaumont qui, publiée à Londres en 1756, connaît réellement le succès. Intéressons-nous alors à la version originale de cette histoire d’amour hors du commun.

Comme tous les contes de fées, l’histoire de La Belle et la Bête commence aussi mal qu’elle finit bien. Un marchand qui a fait fortune grâce à ses navires de commerce perd du jour au lendemain toute sa richesse. Par conséquent, lui, ses six fils et ses six filles, doivent quitter la ville et ses amusements pour la vie rustique de la campagne. Ce changement est violent, notamment pour les filles de ce marchand ; en effet, imaginez-vous déménager du centre de Paris au fin fond de  l’Auvergne ou du Limousin. Et bien, c’est plus ou moins ce que ces demoiselles ont vécu. Cependant, l’une d’entre elles, évidemment la plus jeune et la plus jolie, se démarque par sa force morale face à la crise et son caractère doux et attentif. Bien sûr, il s’agit de notre héroïne, on l’appelle la Belle, son père l’aime plus que tout, ses frères l’entourent et ses sœurs en sont jalouses. Tout bascule (encore) et l’espoir renaît lorsque l’un des bateaux du marchand est retrouvé. Seulement, le voyage de l’homme à la ville est inutile et c’est lors de son trajet de retour qu’il pénètre le somptueux palais de la Bête. Le marchand est accueilli avec hospitalité et personne ne se montre jusqu’à ce qu’il cueille sans autorisation une rose pour sa chère fille, la Belle. Le monstre apparaît alors et donne à l’homme un mois pour convaincre l’une de ses filles de venir de son plein gré ou revenir seul et mourir. Bien sûr, seule la Belle accepte ce sacrifice pour son père et elle rejoint la demeure de la Bête. Elle vit sans manquer de rien, entourée de petits animaux et de belles robes, et son hôte se montre chaque soir à l’heure du repas, posant toujours, avec tact et délicatesse, la même question : “Voulez-vous que je couche avec vous ?”. La réponse de la Belle est toujours négative d’autant plus que la jeune fille est tombée amoureuse d’un très beau et mystérieux jeune homme qui lui demande, en rêves, de le libérer de sa prison. Au bout d’un certain temps, la Belle souhaite revoir sa famille, la créature accepte de la laisser partir deux mois. Les semaines s’écoulent et la jeune fille réussit finalement a quitter sa famille, avec quelques jours de retard, elle retrouve la Bête presque morte de chagrin, se rend compte qu’elle tient à elle et va accepter de passer la nuit avec le monstre qui sera transformé comme par magie en prince charmant au petit matin.

Josette Day et Jean Marais dans le film de Jean Cocteau, 1946

Josette Day et Jean Marais dans le film de Jean Cocteau, 1946

Finalement, le conte se termine sur un long dénouement sur le mode “Mariage de Figaro”. La Belle est aussi une princesse, fille biologique du roi de l’Île heureuse et d’une fée. Le mariage des deux tourtereaux (également cousins germains) est célébré en présence de toute la famille, y compris la famille adoptive de la Belle. On pleure, on s’enlace. Enfin, vous connaissez le Happy End.

La Belle, la plus parfaite des princesses ?

“Une beauté parfaite ornait sa jeunesse, une égalité d’humeur le rendait adorable.” Ainsi est présentée, dans la première partie de l’œuvre, la Belle. A la fin du conte, le lecteur apprendra, sans surprise, qu’elle est en fait mi-princesse mi-fée. Mais alors, la Belle serait-elle l’incarnation de la perfection ? La princesse que toutes les petites filles rêvent de devenir ?

Léa Seydoux dans le film de Christophe Gans

Léa Seydoux dans le film de Christophe Gans

D’abord, critère essentiel, elle est jeune et belle. D’une telle beauté d’ailleurs qu’on en oublie son nom pour l’appeler modestement la Belle. Elle aime son père et ses frères mais aussi ses sœurs qui pourtant la détestent tant. Son mérite surpasse de loin celui de Cendrillon ; en effet, ce n’est pas deux mais cinq sœurs jalouses et aigries que la Belle supporte au quotidien. Le lecteur est ensuite subjugué par son dévouement : ses sœurs réclament à leur père robes, bijoux et bien d’autres articles aussi chers qu’ostentatoires tandis que la Belle, elle, ne désire qu’une simple rose. Elle accepte ensuite de se sacrifier pour ce père menacé par le monstre, et n’oublie pas d’envoyer depuis le palais de la Bête des cadeaux à toute sa famille, y compris ses méchantes sœurs. Par la suite, les animaux l’écoutent et la suivent comme si elle était Blanche-neige, mais en plus ses petits singes particuliers lui jouent des pièces de théâtre et d’opéra. la Belle est également curieuse et cultivée, elle lit beaucoup et montre déjà un raffinement royal. De retour chez elle pour deux mois, tous les fiancés de ses sœurs tombent éperdument amoureux de la cadette, mais vertueuse, elle les repousse toujours. Enfin, emplie de gratitude envers son hôte elle lui sauve la vie comme la petite sirène l’a fait pour son prince. Cependant, son prince à elle est une bête et elle l’accepte et l’aime malgré son apparence à travers laquelle elle sait voir, et grâce à elle, tout un royaume est délivré.

Les vertus de la Belle la placent donc définitivement au-dessus de toutes les princesses et de toutes les fées de nos plus beaux contes, et pour celles et ceux qui ne seraient toujours pas convaincus, souvenez-vous simplement que la Belle est Française. Cocorico !

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