SOCIÉTÉ

Aquilino Morelle : portrait et chute d’un homme de l’ombre

Moins d’un mois après l’entrée en fonction du gouvernement Valls, l’Élysée affronte déjà une nouvelle tempête. C’est le mot même qu’a employé le Premier Ministre pour enjoindre son ami, Aquilino Morelle, à plier bagage. L’affaire ne s’arrête pas qu’à un simple scandale concernant un cireur de chaussures… Revenons sur les faits.

Portrait de l’homme.

Mais que sait-on de cet homme de l’ombre ? Après avoir servi Arnaud Montebourg lors des primaires socialistes, désormais conseiller politique et en communication du président, il peut compter sur sa confiance. Il a fait ses armes comme plume pour Lionel Jospin, repéré par un certain Pierre Moscovici. Aquilino Morelle dispose d’un impressionnant curriculum vitae : après des études de médecine il est diplômé des meilleures écoles (Sciences Po, Énarque). Un très bel exemple de réussite au mérite, pour un fils d’immigrés espagnols qui n’a jamais démérité. La taxe à 75 %, c’est lui. Le bureau jouxtant celui de Hollande, c’est lui. L’orientation du discours du Bourget, c’est lui. L’homme qui apporta à Hollande le fameux numéro de Closer, c’est lui. Bref, un homme de l’ombre qui détenait beaucoup de ficelles entre ses mains.

Les faits.

Selon l’article retentissant de Médiapart, après des échecs électoraux, Aquilino Morelle traverse une période à vide et atterrit à l’IGAS. L’Inspection Générale des Affaires Sociales est un « service interministériel de contrôle et d’évaluation des politiques sociales pour éclairer les décisions publiques », regroupant experts de la cohésion et de la protection sociales, du travail, de l’emploi, de la formation et de la santé. Il s’y illustre particulièrement en rédigeant un rapport qui a fait date ; sur le scandale sanitaire du Médiator. Jusque-là, tout est normal, si on s’en tient au rôle et à l’utilité générale de l’IGAS.

Tout ? Non. En 2007, il est chargé d’établir un nouveau rapport sur l’encadrement des traitements pharmacologiques, potentiellement soumis à la pression des entreprises pharmaceutiques. Or, M. Morelle va, son carnet d’adresses sous le bras, toquer aux portes des grands laboratoires pharmaceutiques, arguant d’après Médiapart que « son travail à l’IGAS ne lui prenait que deux jours sur cinq ». Il devient un réel entremetteur, entre les sphères publique et privée du domaine sanitaire ; cet homme aux bras longs met en relation des hauts fonctionnaires et des représentants pharmaceutiques pour un salaire environnant les 12.500 euros. Tout arrangement tarifaire, préférence pour les ordonnances ou occultation de mention des risques sont alors envisageables. Il paraît donc normal qu’un inspecteur travaille pour les laboratoires pharmaceutiques… qu’il inspecte. La loi stipule bien l’incompatibilité de ces deux fonctions ; l’intégralité des occupations de M. Morelle aurait dû relever du secteur public. Ce membre du gouvernement, exemple de réussite sociale, aujourd’hui suspecté de « prise illégale d’intérêts », risquant une forte amende et de la prison ferme, a été contraint de déposer sa démission ce vendredi 18 avril.

Les conséquences désastreuses du départ du « petit marquis »

Si sa démission n’a pas fait tant de remue-ménage, c’était surtout dû aux circonstances : les otages journalistes d’Europe 1 venaient d’être libérés. Il est normal que la couverture médiatique leur ait été attribuée. Mais les conséquences de l’affaire Morelle pourraient se faire ressentir sur un temps plus long. Il a été l’opérateur principal du rapprochement et des négociations entre Montebourg et Valls lors de la mise en place du nouveau gouvernement. Ami proche des deux hommes, qui ne s’entendent guère, il avait réussi à établir un lien fragile les obligeant chacun à des concessions. Qui sait combien de temps s’écoulera avant que ce lien ne commence à s’effiler ?

De plus, lors de la parution du rapport sur le Médiator en 2011, Aquilino Morelle n’avait cessé de marteler combien la transparence était obligatoire et d’exiger la publication des relations entre laboratoires pharmaceutiques et médecins. Il déclarait à France Info : « Si on a un rapport avec l’industrie pharmaceutique, il faut que tout le monde le sache ». La transparence, c’est normal… mais pour les autres. Quelques temps avant sa déclaration, M. Morelle s’était régulièrement présenté à des laboratoires danois, mais aussi chez Sanofi et Servier. Vous avez bien lu Servier, le laboratoire produisant le Médiator.

Ce qui désastreux, c’est qu’on apprend également que lors de l’affaire Cahuzac, les relations pour le moins ambiguës d’Aquilino Morelle avaient été rendues publiques, le forçant à s’enfoncer un peu plus dans l’ombre. Mais Hollande l’avait maintenu, contre ses objectifs de campagne ; n’avait-il pas dit : « Moi président de la République, il y aura un code de déontologie pour les ministres, qui ne pourraient pas rentrer dans un conflit d’intérêts ?  ».

Médiapart ne fait aucun doute sur la connaissance de ses activités par des hommes politiques de premier rang : Marisol Touraine et Jean-Marie Le Guen sont visés. Tout est bon pour faire le lit des votes extrémistes et contestataires lors des législatives, approchant à grands pas. L’imaginaire qui sous-entend que dans les hautes sphères du pouvoir, on se mélange et on manigance contre le petit peuple, persiste. L’électorat fragile va continuer de penser que des choses se trament là-haut, des choses qui nous échappent.

Un cireur particulier venu du Bon Marché pour rendre comme neuves des chaussures au prix inavouable, quand un plan drastique de 50 milliards d’euros est sur la table, c’est normal. Cela résonne étonnamment en écho avec l’image des hommes politiques véhiculée dans le récent film Quai d’Orsay. Le premier conseil que reçoit Arthur Vlaminck (Raphaël Personnaz) est de partager l’obsession des pointes de chaussures soigneusement huilées, brillant sur le marbre des salles de conférences et lambris élyséens. Et surtout pas boueuses, vieillies ou abîmées. Cette affaire est évidemment humoristique : le pauvre cireur de chaussures expliquait au Petit Journal être constamment harcelé. Pour le coup, il paraît lui aussi complètement à côté de ses pompes, il ne se serait pas rendu compte de l’importance de son client, qui le recevait hôtel de Marigny.

La comparaison avec Jérôme Cahuzac est évidente mais ne nous inquiétons pas pour Aquilino Morelle, il n’a pas décidé de rester cloîtré dans la maison familiale, lui. Il est déjà de retour à l’IGAS où il a posé des congés, vous avez dit normal ?

Sudiste exilée à Paris, Mazienne #fromthebeginning. Droguée à l'actu, le plus souvent par seringue radiophonique.

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