CINÉMA

Wrong Cops : décadence et coercition

Vous n’êtes sûrement pas sans connaitre Monsieur Oizo, musicien français, signé chez la joyeuse troupe d’Ed Bangers. Ne vous a-t-il pas fait danser sur Cut Dick, Flat Beat ou encore Positif, si psychédélique sur le fond que sur la forme ? Mais connaissez-vous son alter ego diurne, alias Monsieur Quentin Dupieux ? Troquant ici les disques platines pour une caméra, le presque quadragénaire fait vivre son univers décalé sur grand écran, offrant, pour notre plus grand plaisir, une nouvelle dimension à ses délires aux influences surréalistes. Avec à son actif déjà pas moins de quatre films comme réalisateur (chronologiquement Nonfilm, Rubber, Steak et Wrong), ce n’est donc pas à son coup d’essai qu’en est le « phénomène malgré lui » avec son nouveau long métrage, Wrong Cops, sorti le 19 mars 2014 dernier dans toutes les salles obscures françaises. Verdict ?
Dès les premières minutes, on est plongé dans ce que l’on pourrait appeler « un Dupieux » : la scène d’ouverture ne laisse aucun doute possible quant à l’envergure de ce que nous nous apprêtons à regarder… Qui est donc ce policier d’âge mur qui deale de l’herbe cachée dans un cadavre de rat à un enfant ? Dans ce Los Angeles où même Marilyn Manson, sous les traits d’un jeune homme introverti et mal dans sa peau, est pour une fois symbole de normalité, les scènes se suivent et l’intrigue se met peu à peu en place. Le spectateur que nous sommes est bientôt confronté à lui-même, peut être même plus choqué par les situations absurdes qui s’enchaînent, balloté par l’absence de logique du scénario – l’histoire relatée se révélant au final peu riche, pérégrination loufoque de la vie de flics, alternant musique électronique, cadavres et pornos gays.

Wrong Cops

Droits réservés

Vieilles voitures, nappes de synthés froides et expérimentales dignes des eighties et d’une techno aux sonorités qui ne seront pas sans vous rappeler celle des débuts de l’électro, looks pour le moins surprenants de certains personnages, etc : le film se veut esthétiquement d’un vintage kitsch mais totalement assumé qui ne vient que rajouter à son caractère surprenant. Le spectacle du graphique est là ; clair, frais, et connaissant ses limites, le visuel de Wrong Cops est à l’image de son humour : présent tout en subtilité.
Mais sous le couvert de « grosse marrade » populaire, c’est entre les lignes que le talent de Dupieux se fait sentir : il nous offre en fait une fine critique, toute en subtilité, de “l’american way of life”. C’est une splendide parodie. Certains thèmes abordés caricaturent jusqu’à l’excès les clichés de l’imaginaire collectif. Argent, consumérisme poussé, sexe, adultère… tous les sujets les plus communs y passent, subissant un traitement rare au cinéma : celui de la dérision pensée et intelligente. Dans Wrong Cops, plus rien n’a d’importance. De la vie humaine – « It’s a horrible thing for him, not for you. » comme dit l’officier de police Duke (interprété par Mark Burnham) à son ami peu enclin à enterrer cet homme presque mort, couché dans la coffre de sa voiture – à l’éthique de l’éducation et de la relation mère-fils comme nous le montre l’hilarante scène où Arden Myrin explique tout simplement à son fils qu’il doit aller poser un magazine pornographique gay de l’autre côté de la rue…

Initialement le film était prévu en plusieurs courts métrages. Dupieux avait pour cela réalisé sept parties. Au final il les a assemblées, jugeant son travail plus cohérent ainsi. Il est vrai que 94 minutes pour un film principalement comique est une durée parfaite : ni trop court, laissant au réalisateur la possibilité de transmettre ce qu’il veut, ni trop long, afin de pas encombrer sa réalisation. Mais malgré ce bon timing, le fait que le film n’ait pas été fait d’une traite génère un rythme échoué, raté… Sans fil « conducteur », juste rythmé par quelques scènes – toutes plus imprévisibles les unes que les autres, Wrong Cops demeure malgré ses qualités assez plat, sans réels sursauts, sans surprise… comme une œuvre presque publicitaire pour un Quentin Dupieux, qui s’auto-parodierait. On regrettera une trop grande finition des détails au détriment de l’histoire finalement banale, peu approfondie.

Créant une ambiance digne de Twin Peaks et porté par une image claire, nette et précise, analogue à celle de Canine de Lanthimos, Wrong Cops est sans conteste un bon film, mais qui aurait gagné à avoir une pré-production peut être plus soignée ; un bon Dupieux il est vrai, mais un bon Dupieux qui s’essouffle.

Vous détestez m'aimer, vous aimeriez me détester. Philosophe du dimanche (mais seulement du dimanche), on m'appellera bientôt le Claude Lantier du XXI° siècle. Sinon wallah moi ça va tranquille.

You may also like

More in CINÉMA