Dans un climat politique et social agité, le retour du printemps se fait un peu oublier. Nous avons donc choisi de remettre en lumière un peu de beaux sentiments grâce à l’ancêtre de de la drague 2.0 et des textos de gros loveurs, le chant lyrique de l’amour : la poésie. Pour cela nous soumettons à votre critique le recueil Elsa d’Aragon publié en 1959.
Cléopâtre et César, Roméo et Juliette, Bonnie and Clyde… Les couples de légende peuplent l’imaginaire de tout un chacun car ils portent en eux cette fougue, cette dévotion l’un à l’autre, ce je-ne-sais-quoi qui fait de l’être aimé le maître tout puissant de sa propre existence. Avec Elsa, Aragon contribue encore une fois à inscrire son couple dans le vaste mythe amoureux. Mythe est le mot juste car de simple femme, il érige sa moitié, Elsa Triolet, au rang de déesse.
“Un jour Elsa mes vers que leur ajouterais-je
D’autres qui les liront le diront après nous
Mon bras est assez fort pour lier tes genoux
Ne compte pas sur moi que l’étreinte s’abrège
Il n’est plus de saison pour la rose vois-tu
Car ceux-là qui vont lire un jour Elsa mes vers
N’y peuvent séparer ton nom de l’univers
Et leur bouche de chair modèle ta statue”
Louis Aragon et Elsa Triolet se rencontrèrent en 1928, alors que tous deux se réunissaient dans le célèbre café parisien La Coupole, entourés d’artistes de l’époque. Elsa, née à Moscou, put grâce au poète s’ouvrir à la société française en devenant sa muse, sa source d’inspiration et sa soif d’écrire. Histoire d’amour fusionnelle, renforcée par l’engagement du couple au travers de la Résistance, qui les unit, se traduit, remplit et s’embellit au travers de leurs écrits, comme en écho les uns aux autres. Le recueil Elsa publié en 1959, nous ouvre sur la musicalité et la virtuosité de l’écriture d’Aragon, qui est ici entièrement dédiée à l’amour transcendant pour sa femme.
En 34 poèmes entrecoupés d’une pièce et d’un entracte, le poète nous dévoile une femme qui appartient, embellit et justifie même sa vie. A la force de ses mots, Louis Aragon montre toute la démesure avec laquelle il aime Elsa. Il nous livre à “la messe noire de l’adoration perpétuelle” d’une femme qui est ainsi métamorphosée par la puissance de son lyrisme en source de toute possibilité d’amour et de sens dans le monde. Ces poèmes nous font découvrir un homme sacrifié sur l’autel de la dévotion qu’il voue à la femme qu’il aime. Le recueil apparaît comme une urgence, l’urgence de révéler à l’univers entier la nature divine de sa compagne. Et pourtant, dans le même temps, il crie son impossibilité à parler d’Elle, à lui rendre justice. Toute la tension d’Elsa est là, Aragon hurle au monde son incapacité à parler malgré la force de son désir, et nous, au même titre que le poète, devenons l’esclave de cette femme dont le règne amoureux et tyrannique ne semble pas avoir de limite.
“Je n’ai pas le droit d’une absence
Je n’ai pas le droit d’être las
Je suis ton trône et ta puissance
L’amour de toi c’est d’être là”
Éternelle chanson d’amour où se mêlent répétitions, ponctuation presque absente et images florales à l’effigie d’Elsa, la plume du poète laisse également transparaître la douleur du désir et la faiblesse du langage pour le retranscrire. Dès le premier poème, tout suspense est mort, tout est dit.
“Je vais te dire un grand secret Je ne sais pas
Parler du temps qui te ressemble
Je ne sais pas parler de toi je fais semblant
Comme ceux très longtemps sur le quai d’une gare
Qui agitent la main après que les trains sont partis
Et le poignet s’éteint du poids nouveau des larmes
Je vais te dire un grand secret J’ai peur de toi
Peur de ce qui t’accompagne au soir vers les fenêtres
Des gestes que tu fais des mots qu’on ne dit pas
J’ai peur du temps rapide et lent j’ai peur de toi
Je vais te dire un grand secret Ferme les portes
Il est plus facile de mourir que d’aimer
C’est pourquoi je me donne le mal de vivre
Mon amour”
Malgré cette absence de tension dramatique, on ne peut s’empêcher de dévorer le recueil du premier au dernier vers. Cet ouvrage se présente comme une injonction : « Oubliez tout ce qui n’est pas Hélène ». Entraîné par cette ode à l’amour, le lecteur est charmé par la musique d’Aragon qui fait naître en lui le besoin d’entendre ce que le poète n’est pas en mesure de dire à propos de l’amour à la fois sublime et incontrôlable qu’il éprouve pour sa moitié.
Nous cessons maintenant tous commentaires qui demeureront de toutes manières en deçà de la magie des vers d’Elsa. N’est plus qu’en votre pouvoir d’aller vous allonger sous le soleil de printemps pour vous plonger dans la magie des mots.
– CLARA GRIOLET ET ANNE-CHARLOTTE MESNIER