« Ce n’est pas stratégique, mais il faut à tout prix raser Paris. Surtout l’Opéra. » Le Louvre, la Concorde, les Invalides, la Tour Eiffel, les ponts de la Seine… « Tout doit disparaître pour toujours… » en cette nuit du 24 aout 1944, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Derrière les images d’archives choisies pour introduire Diplomatie, se cache le cinéaste Volker Schlöndorff (75 ans), célèbre pour « Le Tambour », palme d’Or 1979. La réalité montrée vient nous effleurer la carotide : une ville allemande entièrement détruite. La 7ème Symphonie de Beethoven, qui ouvre l’œuvre, ressemble alors à un Requiem. Puis en quelques plans, les protagonistes sont présentés, l’intrigue lancée : place à une fiction historique et inhabituelle, en huis clos.
Un Général, arborant fièrement ses épaulettes et son aigle nazi sur la poitrine, réside et expose ses médailles dans une suite de l’Hôtel Meurice, rue de Rivoli avec vue sur la Tour Eiffel. Sa santé aussi fragile que son sens du devoir solide, il porte sur ses épaules l’uniforme d’une grande responsabilité. Après le constat d’une destruction minutieuse et imminente d’une des plus belles villes du monde donnant un frisson glaçant, on aperçoit un homme derrière un miroir sans tain. Coiffé de ce chapeau si cher à la résistance et habillé d’un noir aussi neutre que le pays qu’il représente, Raoul Nordling s’avance et sort de l’ombre. Un homme pour décider de la destruction de Paris, à l’aube de la Libération de la ville. Un autre pour empêcher ce crime absurde. Un militaire face à un diplomate. Le Général Dietrich von Choltitz face au Consul de Suède. Les armes sont laissées de côté, les munitions restent à la ceinture. Pour la défense d’une idée ou pour l’obéissance aveugle, pour le sauvetage d’une ville entière ou pour son anéantissement, ils choisissent la bataille des mots et les rafales d’arguments. Diplomatie est un moment de cinéma, un moment de théâtre et un moment d’histoire. Trois dimensions enlacées dans un film remarquable.
Le cinéaste capture le soleil de l’aube sur les toits de Paris, fait briller les chandeliers pour rendre l’élégance intacte des tapisseries et des bibliothèques de la suite. La lumière, à la fois naturelle et maitrisée, donne énormément de force aux visages. La combustion d’une allumette menace d’être tuée par une troupe allemande dans les premières images du film, les briquets multiplient les étincelles et les braises des cigarettes scintillent sans s’éteindre. Sans être un remake de Paris brûle-t-il ?, film de René Clément traitant du même sujet sorti en 1966, tout est en feu dans cette pièce. Et le spectacle de ce duel nous embrase.
Adapté de la pièce éponyme de Cyril Gély, le cinéaste a choisi les mêmes comédiens. Les voix et les corps de Niels Arestrup et André Dussollier connaissent déjà 200 représentations sur les planches avant le tournage, les répétitions devaient être rares. Leurs timbres, leurs jeux et leurs élocutions viennent réchauffer nos tympans comme l’humanité de leurs personnages vient toucher nos cordes sensibles. Les répliques sont exquises, frôlant les rimes dans la douceur et la sécheresse des mots.
La reconstitution, malgré sa romance (les faits historiques relatent des semaines de négociation), est tout à fait réaliste mais sans prise de risque. Nous sortons de la suite du Général qu’à de rares occasions, les décors et costumes d’époques se concentrent donc essentiellement en un seul lieu. La dimension historique de l’œuvre de Volker Schlöndorff se limite finalement à la question de la destruction de Paris mais le 28ème film du cinéaste a une portée beaucoup plus philosophique, qui dépasse la situation décrite par le film et approchant les interrogations que pose Hannah Arendt sur « la banalité du mal ».
Si le son des voix ne vous donne pas de frissons, si la lumière du matin sur Paris ne vous donne pas un peu d’espoir, si l’approche d’une négociation historique au cinéma ne vous enchante pas, alors une anecdote croustillante sur Napoléon III vous rendra le sourire dans ce film où l’humanité se confronte à elle-même.