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Le réalisme de Courbet

Original, me direz-vous, je suis du même avis. Il est vrai après tout que le réalisme n’est pas au programme de seconde, et qu’il s’agit d’un obscur mouvement bien loin de nous. Quel siècle déjà ? Ier avant JC ou encore VIIème après Romulus et Rémus ? Y avait qui dedans ? Pierre Bourdieu et Aristote voire Raphaël, il me semble.

Trêve de bavardage. Le réalisme, c’est sérieux. Pas question de rire avec ces gens-là, ni d’omettre le moindre petit détail. Ça file doux, à l’époque. Pas de petites blagues inutiles qui alimentent les conversations, et qui nous donnent aujourd’hui un peu le sourire, pour le meilleur ou pour le pire. Là-bas l’ambiance était à la précision. Rendre le quotidien aussi important que le reste, pas le temps de déconner. Littérature et peinture sont dans la seconde moitié du XIXe siècle cernées par l’idée de véracité, l’exigence de se plonger dans un monde vrai, la volonté de succéder au romantisme trop idéaliste ou trop sombre : déconnecté. Outre Balzac, Stendhal ou Maupassant aux lettres, aux rênes de la peinture les maîtres du courant sont Courbet (Gustave et non Julien) ou Manet (impressionniste aussi, oui).

Concentrons-nous sur le chef de file. Fort de ses succès, et des résonances encore provocantes de son Origine du Monde (1866), l’homme a traversé le temps pour parvenir à nos yeux et à notre réflexion. Mais bien avant ça, Courbet était, dans un monde en pleine explosion industrielle, un agitateur de renom. Sa perspective féminine n’est alors qu’un exemple de polémique. N’oublions pas qu’à cette époque les grands formats sont encore réservés à des scènes sublimées, à de grands moments historiques, mythiques. Alors Un enterrement à Ornans ne pouvait qu’être mal vu dans un tel contexte. Le peintre est alors critiqué pour cette représentation du “trivial” et du “laid”. Et ce en particulier lors du Salon de Peinture de 1850, où l’œuvre maîtresse a eu du mal à se faire accepter. C’est pourquoi elle fut refusée à l’Exposition Universelle de 1855.

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Gustave Courbet – Un enterrement à Ornans

L’artiste cherche pourtant à redonner sa place à une population délaissée jusque là par l’art. Il est peut-être novateur, mais a l’envie de sublimer le monde authentique, de permettre à tous d’accéder au rang de personnage culturel. Mais son inspiration ne vient pas que de là, il la puise également dans l’amour qu’il voue à la République. Entre Ornans, sa ville natale, et les interprétations auxquelles s’ouvrent l’immense toile (316cm X 668 cm), le choix pour le spectateur est vaste, la contemplation longue, et la pensée court vivement.

Seul point sur lequel on peut s’accorder sans discuter des heures durant, c’est qu’avant celle-ci, les scènes d’enterrement sont quasi-inexistantes dans la représentation. Pourtant les villageois semblent s’unir dans le chagrin plus que dans tout autre événement. Mort et tristesse sont bien les deux thèmes qui se dégagent. Mais une question se presse à ma bouche : qui est celui porté dans le trou béant et noir, centre aspirant le regard ?

Lorsque le tableau est peint entre 1849 et 1850, la deuxième République est alors en vigueur depuis 1848. Louis Napoléon Bonaparte prend sa place au pouvoir et est élu président de la République française le 20 décembre face à Eugène Cavaignac. Deux ans plus tard, en 1850, Louis Philippe meurt. Le futur Napoléon III commence à prendre de l’allure, et cherche à combler ses désirs de pouvoir. Le deuxième Empire se profile.

Courbet a-t-il pressenti la fin de la République, si chère à son cœur ? A-t-il indirectement averti ses contemporains ? Aucune certitude face à ces théories, mais il est toujours agréable d’avoir l’impression de percer un mystère.

En quelques œuvres, Gustave Courbet, peu apprécié de son temps, était pourtant visionnaire. Sans lui et pas mal de ses congénères, l’art ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. La République non plus, de par son engagement et celui de bon nombre d’intellectuels. À toute heure, il faut des hommes pour y croire, pour avancer, pour se battre, pour créer ou pour provoquer, que ce soit dans la culture ou dans la politique.

En amour avec la diversité artistique, immergée dans les images et les sonorités, en quête d'une fameuse culture hybride, à la croisée des idées. Sur la route et sur les rails, entre la France et les festivals.

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