IDA. Ce n’est ni un astéroïde ni un jeu vidéo, ce n’est pas un conte d’Andersen ou encore le nom d’un ichtyologiste japonais, ce n’est pas un cousin de HAL et encore moins celui d’IBM. L’homonymie de ces trois lettres est absolument extraordinaire, un peu comme le film signé Pawel Pawlikowski qui les porte, noires, sur son affiche gris clair et gris foncé.
Recueillie dans un couvent polonais dès son plus jeune âge après la Seconde Guerre mondiale, Ida a été éduquée par les religieuses et souhaite entrer dans les ordres. Avant la prononciation de ses voeux de chasteté et de pauvreté, elle doit d’abord revenir sur un passé mystérieux, mêlant ses parents, sa tante et une famille résistante à l’occupation nazie. Les péripéties de la jeune nonne se déroulent dans les années 60, dans une Pologne semblable à celle qu’avait connue le cinéaste dans son enfance. La lecture de l’œuvre devient double : Ida se cherche un passé, une construction et une religion, la Pologne aussi. L’identité visuelle de cette allégorie silencieuse et asphyxiante est marquante, dès les premiers plans.
L’équilibre des teintes, des ombres et des lumières est la première surprise, au premier coup d’œil. Cette image carrée nous séduit instantanément, c’est une invitation à plonger dans les profondeurs d’un double personnage : quel est le vrai prénom, celui donné par le couvent ou par une mère disparue ? Il y a Ida, toujours coiffée d’un voile. Elle s’agenouille et se signe régulièrement, respecte rigoureusement le rythme du couvent. Et Anna, qui se détache les cheveux, s’abandonne dans les plaisirs charnels et fuit la réalité par le goulot. Si les premières minutes de l’œuvre sont d’une froideur glaçante, le regard d’Ida devient étincelant dès le départ de son couvent.
Ida souhaite ardemment connaître la vérité sur son passé flou et se rendre dans sa ville natale. La découverte de ce passé peut-elle lui faire perdre la foi ? Sa tante l’interpelle sur cette question. Le réalisateur illustre ce tiraillement de façon visuelle. Il décide, pour illustrer une “présence divine”, de cadrer les visages très bas et de laisser comme un ciel immense au-dessus des têtes. Suivant les séquences du film, ce “vide” est plus ou moins important. Une longue descente aux enfers commence et Ida/Anna se perd dans un entre-deux. Et cela devient une réelle leçon de cinéma.
Une force plane sur ce film. Les dialogues sont extrêmement rares mais les silences, splendides. Le cinéaste a dit non à l’explicatif, au dialogues inutiles. Une seule image, un seul regard ou un seul geste, cela suffit pour montrer la douleur du personnage et nous la partager dans des nuances de gris. Sur les visages, la neige et les cieux, le gris est clair : c’est sur les cernes, les ombres et le terreau qu’il s’assombrit.
Le visage d’Agata Trzebuchowska, interprète d’Ida, est aussi un équilibre de nuances. Il est l’équilibre subtil entre naïveté, sérieux et beauté. Sa peau est presque blanche mais ses yeux très sombres rappellent vite son passé, à l’image de la mise en scène.
Dans l’univers de ce personnage qu’on scrute passionnément, il n’y ni dorures ni parures. Ici, la pierre est authentique, gris sale et abrupte : les choix du metteur en scène forment presque une apologie du minimalisme, courant misant sur l’absence des objets inutiles dans le champ de vision. Cette pollution visuelle qu’on a l’habitude de subir chaque jour un peu plus n’est pas le chemin que veut prendre Pawel Pawlikowski. Le cinéaste souhaite donner de la force aux visages, que notre attention soit focalisée sur ceux-là : c’est réussi, nous voulons que ça s’arrête, qu’on puisse admirer une nouvelle fois ce jeu d’ombre, cette lumière. Sublimé par le jazz de ces années de reconstruction et quelques notes de piano, Ida nous transcende et une seule question subsiste : Dieu ou le saxophoniste ? Le frisson est là et la larme pas loin, alors pourquoi n’iriez vous pas vous asseoir vite pour une projection et faire baisser la moyenne d’âge du public ?